Motion M-238 :
: M. Stéphane Bergeron (Verchères-Les-Patriotes, BQ)

37e Législature, 2e Session
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 054
Le jeudi 6 février 2003

La déportation des Acadiens

[Français]

M. Stéphane Bergeron (Verchères-Les-Patriotes, BQ) propose:

Que la Chambre reconnaisse officiellement les préjudices dont a souffert le peuple acadien de 1755 à 1763.

Stéphane Bergeron

- Madame la Présidente, c'est avec un immense plaisir que je prends aujourd'hui la parole en cette Chambre afin de débattre de la motion M-238, qui se lit comme suit: «Que la Chambre reconnaisse officiellement les préjudices dont a souffert le peuple acadien de 1755 à 1763».

Malheureusement, cette motion ne doit faire l'objet que d'une seule heure de débat, le Sous-comité des affaires émanant des députés ayant jugé, contre toute attente, que celle-ci ne serait pas soumise à un vote de la Chambre.

Comme vous le savez sans doute, cette motion s'inscrit dans la continuité de la démarche que j'ai entreprise en octobre 1999, suite au 2e Congrès mondial acadien, qui avait lieu en Louisiane. Cette démarche avait précédemment culminé par le débat, puis le vote sur la motion M-241, demandant à la Couronne britannique de présenter des excuses officielles au peuple acadien pour les préjudices dont il a été victime au cours de la déportation.

On se souviendra que cette motion avait été rejetée par la Chambre des communes, après de viles manoeuvres de la part de ses plus virulents opposants, tout comme l'amendement voulant que la Couronne soit simplement invitée à reconnaître ces tragiques événements historiques pourtant indéniables.

L'amendement, il convient cependant de le rappeler, n'avait été défait que par une mince majorité, ayant notamment reçu l'appui des chefs alors en exercice des quatre partis d'opposition.

Au cours du débat virulent ayant entouré la motion M-241, on m'a gratuitement reproché un certain nombre de choses, dont le fait d'avoir en quelque sorte mis la charrue devant les boeufs en m'adressant à la Couronne britannique sans que le Parlement canadien se soit lui-même jamais officiellement penché sur la question. Fort bien. J'ai donc pris en considération ces commentaires formulés par certains de mes collègues et j'ai déposé la présente motion. Ceux-ci auront donc l'occasion aujourd'hui de se montrer conséquents.

Il faut cependant reconnaître que la mauvaise foi semble avoir continué de présider à l'analyse et au traitement de la délicate question des préjudices causés au peuple acadien lors de la déportation, puisque le Sous-comité des affaires émanant des députés a cette fois prévenu tout dérapage embarrassant pour la députation libérale en ne permettant pas que la Chambre des communes puisse se prononcer par un vote sur cette motion.

J'ai bien hâte, cependant, d'entendre ce qu'ils auront à dire cette fois pour dénigrer la démarche et son initiateur.

Je dois dire que j'ai été pour le moins surpris de constater à quel point la présentation de cette nouvelle motion a été reçue de façon négative, pour ne pas dire cinglante, dans certains milieux. On croyait peut-être que, rassasié de la notoriété soudaine que m'aurait valu la controverse entourant la motion M-241, je lâcherais le morceau et me mettrais en quête d'une nouvelle cause pouvant également m'assurer une certaine couverture médiatique. C'était là bien mal me connaître.

Qu'on se le tienne pour dit: je n'entends pas abandonner tant et aussi longtemps que cette tragédie innommable que fut la déportation des Acadiens n'aura pas été dûment et officiellement reconnue. J'ai bon espoir qu'à terme, la Couronne britannique en viendra inévitablement à poser le seul geste noble, juste et indiqué dans les circonstances, c'est-à-dire de reconnaître ces faits historiques indéniables et, dans la même foulée, de présenter des excuses au peuple acadien.

La démarche à cet effet a été endossée puis reprise à leur compte par la Société Nationale de l'Acadie et ses sociétés membres et affiliées, qui s'emploient maintenant à la faire cheminer jusqu'au palais de Buckingham. La démarche a suscité un vif débat au sein de la communauté acadienne, un débat auquel cette instance représentative et démocratique qu'est la Chambre des communes ne saurait demeurer sourde et insensible.

Le débat entourant les affres de la déportation s'avère quelquefois émotif et douloureux, car ses effets pervers, malgré la ténacité, le dynamisme, l'originalité et l'esprit créateur du peuple acadien, se perpétuent encore aujourd'hui. Il s'agit d'une question que les gens avaient souvent intériorisée et enfouie au plus profond d'eux-mêmes, comme pour éviter de déranger, de rouvrir de veilles blessures mal cicatrisées.

La question de la responsabilité entourant ces tragiques événements n'ayant jamais été résolue, plusieurs en sont même venus à cultiver un sentiment latent de culpabilité. Les modestes acquis ayant été arrachés de haute lutte, il valait mieux demeurer coi pour ne pas les mettre en péril.

Les détracteurs de la démarche voulant que les préjudices causés par la déportation soient enfin reconnus avaient donc beau jeu et semaient, pour ainsi dire, en terrain fertile. On ne pourra pourtant pas nier l'évidence indéfiniment.

C'est pourquoi, outre la Société nationale de l'Acadie et ses associations membres et affiliées, nombre d'individus et d'organisations ont grossi les rangs de celles et ceux qui appuient la démarche initiée par l'avocat louisinais Warren Perrin, il y a plus d'une dizaine d'années, à l'exemple de ces Acadiens désoeuvrés qui, dans les mois suivants le début de la déportation, ont vainement adressé une pétition au roi afin que celui-ci lui vienne en aide.

Ainsi, l'Association des municipalités francophones du Nouveau-Brunswick et l'Assemblée nationale du Québec, notamment, ont donné leur appui à la démarche reprise par la Société nationale de l'Acadie. Même le chef de l'opposition officielle au Nouveau-Brunswick, le libéral Shawn Graham, a fait parvenir une lettre à Sa Majesté le 13 août dernier, lui demandant, dans le cadre de son jubilé d'or, de reconnaître officiellement les préjudices causés aux Acadiennes et Acadiens lors de la déportation.

Quoique puissent donc en dire certains collègues en cette Chambre, la démonstration est faite que cette démarche est loin de constituer une manoeuvre partisane.

Sa Majesté, lors de sa récente visite au Nouveau-Brunswick, n'a pas jugé bon de répondre à ces demandes insistantes qui lui ont été adressées. Qu'à cela ne tienne, la Société nationale de l'Acadie entretient l'espoir que ce geste historique puisse coïncider avec l'anniversaire d'autres évènements tout aussi déterminants dans l'histoire de l'Acadie, soit en 2004, pour la célébration du 400e anniversaire de la fondation de l'Acadie, ou en 2005, pour le 250e anniversaire de commémoration du début de la déportation.

Afin d'éviter de porter ce nécessaire regard serein sur notre passé, plusieurs ont tenté, souvent maladroitement, de renverser le fardeau de la responsabilité en voulant le faire reposer sur les épaules des victimes plutôt que sur celles des tourmenteurs.

Un collègue de cette Chambre, que je ne crois pas mal intentionné le moins du monde, faisait d'ailleurs de même il y a quelques jours dans un journal anglophone du Nouveau-Brunswick. Selon ces personnes, les Acadiennes et Acadiens auraient été, au mieux, de très mauvais sujets dont il était prudent de se méfier, et au pire, d'irréductibles adversaires infiltrés, travaillant activement au retour de l'Acadie dans le giron français. La démonstration en serait faite par leur refus obstiné de prêter un serment inconditionnel d'allégeance à la Couronne britannique. Ces interprétations ne résistent pas à l'analyse.

Il convient d'abord de préciser que le Traité d'Utrecht faisait des Acadiens désirant demeurer dans ce qui allait devenir la Nouvelle-Écosse, des sujets de Sa Majesté jouissant de la protection de cette dernière. En effet, l'article 14 du Traité stipule, et je cite:

[Traduction]

[...] ceux néanmoins qui voudront demeurer et rester sous la domination de la Grande-Bretagne, doivent jouir de l'exercice de la religion catholique et romaine [...]

[Français]

La reine Anne confirmait d'ailleurs ce statut accordé aux Acadiens dans une lettre qu'elle faisait parvenir au gouverneur Nicholson, le 23 juin 1713, et je cite:

[Traduction]

Étendait encore davantage les termes du traité, accordant aux Acadiens qui désiraient rester sujets de la Grande-Bretagne le privilège de conserver leur terre et leurs habitations et d'en jouir sans être inquiétés.

[Français]

Qui plus est, entre 1713 et 1755, le taux de natalité a fait en sorte qu'au moment de la déportation, plus de la moitié des habitants de l'Acadie y étaient nés. Ceux-ci étaient donc sujets britanniques de naissance et n'avaient conséquemment pas à prêter quelque serment d'allégeance que ce soit.

Les Acadiens ne constituaient donc pas un groupe de citoyens étrangers déplacés pour des considérations militaires en raison d'un conflit, d'autant que le conflit en question n'était pas encore déclenché. On se souviendra en effet que la déportation fut amorcée à l'automne 1755, alors que la guerre de Sept Ans n'allait être déclenchée qu'au printemps 1756.

Les autorités coloniales ont donc, au départ, déplacé des citoyens britanniques en temps de paix. C'est une situation qui ressemble à s'y méprendre à ce qui est également arrivé aux habitants de l'archipel des îles Chagos qui, quoique citoyens britanniques, ont été déportés au cours des années 1960 et 1970 pour permettre la construction de la base de Diego Garcia. En novembre 2000, la Haute Cour de justice de Londres a d'ailleurs jugé que le gouvernement britannique avait illégalement déporté ces habitants.

Il convient également d'ajouter que dans les années suivant la signature du Traité d'Utrecht, les gouverneurs britanniques s'étaient, contre mauvaise fortune bon coeur, accommodés du serment d'allégeance prêté par les Acadiens, à condition qu'on ne les force pas à prendre les armes contre leurs anciens alliés, compatriotes et coreligionnaires français, de même que contre les alliés amérindiens de ces derniers.

Cette pratique de tolérance en ce qui concerne l'obligation de prendre les armes comme démonstration ultime d'allégeance semble trouver quelques racines, ou du moins quelques précédents, au niveau du droit international. Les autorités coloniales britanniques l'ont d'ailleurs reprise lors de la guerre d'indépendance des États-Unis. En effet, les Anglo-américains qui s'étaient établis en Nouvelle-Écosse sur les terres des Acadiens déportés, furent exemptés par les autorités coloniales britanniques de l'obligation de prendre les armes contre leurs anciens compatriotes rebelles de la Nouvelle-Angleterre.

On peut également noter ici que les autorités britanniques ont cependant pu éprouver la loyauté des Acadiens et même exprimer une certaine reconnaissance à leur égard. Le gouverneur Mascarene écrivait, suite aux deux brèves invasions françaises de la Nouvelle-Écosse survenues entre 1744 et 1748, et je cite:

[Traduction]

À nos habitants français qui refusent de prendre les armes contre nous, nous devons notre protection.

[Français]

D'aucuns ont malgré tout voulu prouver la mauvaise foi des Acadiens en invoquant l'épisode de la prise du fort Beauséjour par les Britanniques, en juin 1755. Quelque 200 Acadiens se trouvaient en effet à l'intérieur du fort et auraient même contribué à sa défense.

Comment peut-on se surprendre aujourd'hui que des Acadiens aient pu se trouver à l'intérieur du fort, alors que la France et l'Angleterre vivaient à ce moment en paix. On ne peut nier que cette région était cependant contestée et qu'une commission avait d'ailleurs été constituée par les deux Couronnes pour statuer sur la question des frontières entre la Nouvelle-Écosse et la Nouvelle-France.

Mais on ne peut non plus nier que les Acadiens s'étaient, depuis longtemps, établis des deux côtés de cette frontière mal définie et qu'en temps de paix, ils faisaient indistinctement affaire avec les deux grandes puissances, même si cela était mal vu des autorités britanniques.

On doit également reconnaître que les Britanniques, faisant fi de l'entente conclue entre les deux Couronnes au sujet des frontières, ont choisi de régler la question par la force en temps de paix, obligeant les occupants du fort à se défendre tant bien que mal, ne sachant pas quels étaient les motifs de cette attaque soudaine et quel sort leur serait réservé.

Toutes les personnes présentes furent donc réquisitionnées en catastrophe et mobilisées pour la défense du fort. D'ailleurs, après la prise du fort, le colonel Monckton, à l'article 4 de l'acte de capitulation, a permis l'amnistie des Acadiens qui s'y trouvaient. L'article en question stipulait, et je cite:

[Traduction]

Dans la mesure où ils ont été forcés de prendre les armes sous la menace de la mort, les Acadiens doivent être absous pour le rôle qu'ils ont joué.

[Français]

Il appert, hors de tout doute, que la question du serment d'allégeance constituait un prétexte fallacieux pour mettre en oeuvre une opération soigneusement planifiée depuis 1746-1747 par l'ex-gouverneur du Massachussetts, William Shirley.

Après une période de détente, peu propice à la mise en oeuvre d'un tel plan, et à la veille d'une reprise des hostilités entre les deux grandes puissances coloniales qui se disputaient l'Amérique du Nord, la conjoncture se présentait cette fois de façon fort différente. Il ne manquait plus qu'un prétexte. Le refus des Acadiens de prêter un serment inconditionnel d'allégeance semblait être un prétexte tout indiqué.

J'en veux notamment pour preuve le fait qu'au début de juillet 1755, des représentants acadiens sont convoqués à Halifax par le gouverneur Charles Lawrence. Celui-ci les enjoint de prêter le serment inconditionnel d'allégeance. Les Acadiens refusent d'abord, puis se ravisent et se proposent de le prêter. Contre toute attente, Lawrence le leur refuse à son tour, prétextant qu'il était trop tard. Nous savons maintenant que les délégués acadiens étaient piégés d'avance et que quoi qu'ils fassent, eux et les leurs étaient irrémédiablement condamnés à être déportés.

En effet, dans une lettre datée du 9 juillet 1755, Lawrence écrit:

[Traduction]

Je vais leur proposer le serment d'allégeance une dernière fois. S'ils refusent, nous aurons alors une justification pour les expulser. S'ils acceptent, je leur refuserai le droit de le prononcer, en appliquant à leur endroit le décret qui interdit à toute personne qui a déjà refusé de le prononcer le droit de le faire

[Français]

Dans les instructions qu'il adressait au colonel Monckton, en janvier 1755, Lawrence lui spécifiait clairement qu'après la prise du fort Beauséjour, il ne devait demander à aucun Acadien de prêter le serment inconditionnel d'allégeance, ce que Monckton se garda effectivement de faire.

Je ferai également état d'un autre fait historique disqualifiant l'argument selon lequel le refus des Acadiens de prêter le serment d'allégeance justifiait la déportation, si besoin était d'en invoquer un autre. Il s'agit du cas d'un groupe de quelque 200 Acadiens de la rivière Saint-Jean qui, en 1760, soit après que les Britanniques eurent envahi leur région, se sont rendus à Québec pour prêter le serment d'allégeance devant un juge anglais.

De retour à la rivière Saint-Jean, ils ont promptement été fait prisonniers, puis déportés en 1762.

Le projet était clair, bien défini, et Charles Lawrence ne s'en cachait même pas. Les motivations, loin d'être militaires, étaient davantage d'ordre économique. Dans une lettre parue dans le New York Gazette, le 25 août 1755, il écrivait, et je cite:

Nous formons actuellement le noble et grand projet de chasser de cette province les Français neutres [...]. Si nous pouvions réussir à les expulser, cet exploit sera le plus grand qu'auront accompli les Anglais en Amérique, car aux dires de tous, dans la partie de la province que les Français habitent, se trouvent les meilleures terres du monde. Nous pourrions mettre à leur place de bons fermiers anglais et nous verrions bientôt une abondance de produits agricoles dans cette province.

Reste maintenant à clarifier la question de la responsabilité de la Couronne britannique qui, selon moi, ne fait absolument aucun doute.

Si vous me le permettez, je reviendrai sur cette question lors de mon droit de réplique.

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