Motion M-241 :
M. Stéphane Bergeron (Verchères-Les-Patriotes, BQ)

37e Législature, 1ère Session
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 037
Le mardi 27 mars 2001

LES ACADIENS

M. Stéphane Bergeron (Verchères-Les-Patriotes, BQ) propose:

Stéphane Bergeron

Qu'une humble adresse soit présentée à Son Excellence la priant d'intervenir auprès de Sa Majesté afin que la Couronne britannique présente des excuses officielles pour les préjudices causés en son nom au peuple acadien de 1755 à 1763.

-Madame la Présidente, c'est avec fierté et grand plaisir que je prends la parole aujourd'hui à la Chambre pour lancer le débat entourant la motion M-241, laquelle revêt assurément un caractère solennel et historique indéniable pour le peuple acadien, de même que pour toutes les personnes qui, où qu'elles se trouvent dans le monde, ont des ascendances acadiennes, et pour cause.

Je crois que je mesure bien la portée symbolique et historique de cette motion dont j'ai l'immense honneur d'être le parrain et qui se lit comme suit:

Qu'une humble adresse soit présentée à Son Excellence la priant d'intervenir auprès de Sa Majesté afin que la Couronne britannique présente des excuses officielles pour les préjudices causés en son nom au peuple acadien de 1755 à 1763.

Cette motion, quoique reprenant la forme cérémonieuse et ampoulée traditionnellement employée pour les communications entre le Parlement et la Couronne britannique, peut sembler impertinente et même quelque peu outrageante, au premier abord, à l'égard de la personne même de Sa Majesté.

Je vous soumets respectueusement qu'il n'en est rien. La motion ne viole en rien le serment d'office que chacune et chacun d'entre nous a prononcé afin de pouvoir siéger à la Chambre. Ce n'est pas faire preuve de déloyauté que de demander une reconnaissance formelle d'événements historiques incontestables et la présentation d'excuses officielles qui auraient dû, du reste, avoir été présentées il y a fort longtemps.

Mais quand on exige des excuses, est-ce donc parce qu'on est prêt à pardonner à celles et ceux qui ont succédé aux responsables de ces exactions? Assurément! Nous ne devons évidemment pas entretenir de rancoeur à leur égard puisqu'ils ne peuvent répondre directement des actes de leurs prédécesseurs. Mais oublier, cela jamais.

Or, plus de 200 ans après ces tristes événements, personne n'en a encore jamais officiellement reconnu la responsabilité et, partant, l'existence même. Comme si, pour l'histoire officielle, il s'agissait d'un non-événement.

Curieusement, il s'agit d'un sujet à la fois tabou et omniprésent. La Couronne britannique s'est rendue coupable d'injustices graves envers le peuple acadien qui en a bien conscience, ce qui contribue d'ailleurs à façonner et à cimenter son identité nationale. Cependant, il semble que personne n'ose demander des comptes, probablement par crainte d'ouvrir un débat déchirant. Nous devrions pourtant être en mesure de poser un regard lucide et serein sur notre passé.

Quoiqu'on ne puisse juger d'événements passés en invoquant des valeurs et principes contemporains, d'aucuns n'hésitent pas à affirmer que de telles exactions, si elles étaient commises aujourd'hui, seraient qualifiées de génocide et de crime contre l'humanité.

Mais, dans de telles situations, les spécialistes s'entendent généralement pour dire que l'impunité et, surtout, la non-reconnaissance des faits constituent le principal accroc à la justice la plus élémentaire, lequel peut entraver irrémédiablement toute normalisation de la situation après les événements.

C'est peut-être ce qui explique que, plus de 200 ans plus tard, ces événements fassent toujours l'objet d'une sorte de tabou tout en demeurant omniprésents, comme je le signalais plus tôt, dans l'imaginaire collectif du peuple acadien. J'estime donc que la reconnaissance des faits et la présentation d'excuses officielles constitueraient la moindre des peines qu'aurait à subir la Couronne britannique pour toutes celles qui ont été infligées en son nom au peuple acadien.

Et si la Chambre des communes, qui se veut l'incarnation même de la démocratie canadienne, refuse de porter son regard sur notre passé et demander à la Couronne britannique de reconnaître à son tour ces faits historiques, qui le fera? Je ne suis pas sans savoir que ma démarche en cette Chambre ne fait pas nécessairement l'unanimité. Mais je dois vous dire que j'anticipais ce genre de réaction. Toute démarche du Bloc québécois à l'égard des communautés francophones et acadienne du Canada est presque invariablement jugée suspecte d'emblée.

Lorsque la formation politique dont je suis membre fait une intervention au sujet des communautés francophones et acadienne du Canada, il se trouve quelqu'un, quelque part, pour l'accuser de tenter de les récupérer à des fins politiques. Mais lorsque le Bloc québécois commet l'erreur de demeurer muet sur une problématique les concernant, on l'accuse de ne pas se préoccuper de leur sort, trop préoccupé qu'il est, insinue-t-on, par son projet séparatiste.

Il me faut donc préciser d'emblée que ce n'est pas à titre de député du Bloc québécois que j'ai entrepris cette démarche. J'affirme, à l'intention de mes détracteurs éventuels, qu'il m'est permis d'exister en dehors de mon étiquette partisane.

C'est donc plutôt à titre de Québécois d'origine acadienne que j'ai entrepris cette démarche. En effet, si je suis aujourd'hui Québécois, c'est parce que mes ancêtres, en raison du Grand dérangement, ont dû se réfugier au Québec, plus précisément à Saint-Grégoire-de-Nicolet.

Mon premier ancêtre en terre d'Amérique s'appelait Barthélémy Bergeron, originaire d'Amboise, en Touraine. Débarqué en Nouvelle-France en 1684, en tant que volontaire du Roy, il s'établit d'abord à Québec où il aurait exercé le métier de boulanger. Membre des premières compagnies franches de la Marine, constituées pour le service dans les colonies d'Amérique, il a participé aux campagnes et raids menés par le célèbre Pierre LeMoyne d'Iberville, jusqu'à ce qu'il s'établisse à Port-Royal, après 1693, dans l'actuelle Nouvelle-Écosse. Il a épousé Geneviève Serreau de Saint-Aubin, fille d'un seigneur acadien, de qui il eût plusieurs enfants.

Madame la Présidente, je vois que vous êtes particulièrement intéressée par mon histoire familiale. En 1704, après le raid du colonel Church contre Port-Royal, Barthélémy Bergeron et sa famille sont emmenés et maintenus en captivité à Boston pendant deux ans. Après la signature du Traité d'Utrecht en 1713, la Nouvelle-Écosse passe aux mains des Britanniques.

Depuis 1604, le contrôle de l'Acadie aura changé pas moins de sept fois entre la France et l'Angleterre. Ainsi, en 1730, à l'invitation pressante des autorités ecclésiastiques, Barthélémy Bergeron et sa famille se déplaceront dans l'actuel Nouveau-Brunswick, devenant l'une des familles pionnières du village de Sainte-Anne-du-Pays-Bas, qui porte aujourd'hui le nom de Fredericton, capitale de la province.

Devant l'imminence d'une guerre contre la France et doutant de la loyauté et de la neutralité des sujets français et catholiques de Sa Majesté en Acadie, les autorités coloniales britanniques échafaudèrent une stratégie qui allait malheureusement faire école dans l'histoire de l'humanité et que les Romains avaient éprouvée bien auparavant: on allait tout simplement déporter ces populations prétendument subversives et les disperser dans les différentes colonies britanniques d'Amérique.

Le 5 septembre 1755, dans la région des Mines, le lieutenant-colonel John Winslow fait lecture de l'ordre de déportation aux hommes de la localité, qu'il a fait séquestrer dans l'église et dont voici un extrait:

[...] toutes vos terres et habitations, bétail de toute sorte et cheptel de toute nature, sont confisqués par la Couronne, ainsi que tous vos autres biens, sauf votre argent et vos meubles, et vous devez être vous-mêmes enlevés de cette Province qui lui appartient.

Entre 1755 et les mois qui ont suivi la signature du Traité de Paris, en 1763, plus de 10 000 Acadiennes et Acadiens ont été ainsi déportés. De ce nombre, au moins le tiers périra des suites de naufrages, de maladies découlant des pitoyables conditions qui prévalaient à bord des navires assurant leur transport vers l'inconnu ou des rigueurs du temps et des conditions qui les attendaient à destination.

À ces souffrances physiques s'ajoutaient la douleur de l'exil, l'humiliation du dénuement et de la pauvreté, pour ces populations paisibles qui, à force d'efforts et d'ingéniosité, avaient réussi à faire fructifier les marais salés de la terre acadienne et ainsi assurer leur subsistance, mais aussi, trop souvent, le déchirement découlant de la séparation forcée des familles.

C'est à ce chapitre, tout particulièrement, que le récit épique de Longfellow, évoquant le destin cruel d'Évangéline, séparée de l'homme qu'elle aime au moment de la déportation et qui passera sa vie à tenter de le retrouver, prend toute sa signification. Pour plusieurs, l'exode devait s'échelonner pendant de nombreuses années, la plupart des colonies où on voulait les établir n'ayant pas prévu d'infrastructures d'accueil pour ces immigrants impromptus et souvent considérés comme indésirables. Au gré des écueils de l'histoire, cet exode aura conduit plusieurs d'entre eux dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre, alors que d'autres aboutiront dans les Caraïbes, en France, en Angleterre, mais également aussi loin qu'en Guyane française ou aux Îles Malouines.

Nombre de ces exilés entreprendront plus tard de s'établir en Louisiane, alors colonie espagnole, tandis que d'autres amorceront un long et pénible retour vers la terre d'Acadie. Ils ne reverront jamais, cependant, ces belles terres fertiles qu'ils avaient défrichées et cultivées, sur lesquelles des colons anglais s'étaient désormais établis.

Au début du XIXe siècle, près du tiers de la population acadienne aura trouvé refuge dans ce qui deviendra plus tard le Québec. C'est ainsi qu'après 1763, lassés de vivre dans la clandestinité pour échapper aux troupes britanniques, les enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants de Barthélémy Bergeron furent parmi les derniers à quitter la terre d'Acadie pour trouver refuge au Québec.

Après un hiver passé à Cacouna, ils établirent finalement domicile, pour la plupart, avec plusieurs autres familles de réfugiés acadiens, à Saint-Grégoire-de-Nicolet, qu'on appellera familièrement la «Petite-Cadie».

D'autres membres de la famille de Barthélémy Bergeron, beaucoup moins nombreux, cependant, ont plutôt choisir de s'établir en Gaspésie, dans la région de Carleton, et en Louisiane.

Pendant quatre générations, mes ancêtres auront donc contribué à façonner le visage de l'Acadie. Outre les Bergeron d'Amboise et les Serreau de Saint-Aubin, mes racines plongent certaines de leurs ramifications chez les Hébert, les Bourg, les Moricet, notamment.

Je suis fier de mes origines acadiennes et, quoique certains pourraient vouloir dire ou faire aujourd'hui, personne ne saurait faire en sorte que je les renie. D'aucuns peuvent aujourd'hui prétendre que je ne suis pas Acadien et que je ne suis donc pas «autorisé» à entreprendre une telle démarche, mais un fait indéniable demeure: n'eût été du Grand dérangement, je serais probablement Acadien, aujourd'hui.

Aussi, la diaspora acadienne issue du Grand dérangement est-elle donc directement concernée, tout autant que l'Acadie contemporaine, par cette motion dont la Chambre est actuellement saisie. C'est par le Grand dérangement, en effet, que se définit ce que nous sommes aujourd'hui devenus.

Il y a quelques années que j'ai réellement pris conscience de mes origines acadiennes. Cette prise de conscience m'a entraîné dans une véritable quête de mes racines, qui m'a amené à me rendre à de nombreuses reprises dans les provinces atlantiques.

J'ai sillonné l'Acadie historique et contemporaine, de Port-Royal à Louisbourg, de Fredericton à Plaisance, de Grand-Pré à Moncton, de la Péninsule acadienne à l'Île-du-Prince-Édouard, des Îles-de-la-Madeleine à Saint-Pierre-et-Miquelon, en passant par la Louisiane. J'ai rencontré nombre de profanes et de spécialistes de la question, dont M. Stephen White, généalogiste au Centre d'études acadiennes de l'Université de Moncton.

Mais c'est une conjonction de trois événements qui m'a incité à entreprendre la présente démarche à la Chambre des communes. En effet, ayant pris part au dernier Congrès mondial acadien, en Louisiane, j'ai d'abord été en mesure de constater les ravages considérables causés par l'assimilation des descendants des Acadiens exilés dans ces régions. J'en suis dès lors venu à épouser cette idée puissante d'une grande communauté acadienne, fière et solidaire, transcendant les frontières, une idée qui animait d'ailleurs le dernier Congrès mondial acadien.

J'ai également été troublé par la controverse entourant le choix de Moncton comme ville hôtesse du dernier Sommet de la Francophonie. On se souviendra, en effet, qu'un certain nombre d'activistes avait alors critiqué ce choix, jugé trop lourd symboliquement. Qu'il suffise simplement de rappeler, à cet égard, que le colonel Robert Monckton, dont la ville porte aujourd'hui le nom, s'était rendu coupable, envers les Acadiens, de gestes qui lui vaudraient certainement aujourd'hui, comme je le signalais plus tôt, d'être traduit devant le Tribunal pénal international.

Mais cette apparente banalisation des tragiques événements entourant le Grand dérangement, de la part des autorités canadiennes, aurait pu être jugée négligeable si une députée de cette Chambre, à l'époque membre du Cabinet fédéral, n'avait pas elle aussi tenté de minimiser les conséquences de la déportation des Acadiens, en déclarant notamment, en France, ne pas se souvenir de l'année où avait commencé cette malheureuse opération.

Afin de mettre un terme à cette apparente désinvolture des autorités canadiennes à l'égard de cet épisode tragique de notre histoire, il m'est dès lors apparu important que la Chambre des communes du Canada se penche formellement sur la question et reconnaisse officiellement, et ce, pour la première fois de son histoire, que ces événements ont bel et bien eu lieu. J'ai donc fait inscrire une première fois cette motion au Feuilleton de la Chambre des communes, à la fin d'octobre 1999. Mais, n'ayant pas été favorisé par le sort, celle-ci devait mourir au Feuilleton avec la dissolution de la Chambre, l'automne dernier. Je me suis donc employé à faire inscrire de nouveau cette motion au Feuilleton de la Chambre, au début de la présente législature.

J'ai entrepris cette démarche de bonne foi, en voulant rendre hommage au courage, à la ténacité et à la détermination de ces hommes et de ces femmes qui ont vaillamment fait face à l'adversité et qui ont assuré la survie de ce peuple étonnant qu'est le peuple acadien. Je veux rendre hommage à nos mères et nos pères, nos soeurs et nos frères qui, inlassablement, se sont employés par le passé et s'emploient encore, dans nombre d'endroits en terre d'Amérique, à défendre leur langue et leur culture et à les faire rayonner, sous des accents colorés, bien au-delà des frontières de l'Acadie. Je veux rendre hommage à ces organisations qui, des quatre coins de l'Acadie, luttent pour la défense et la promotion des droits, des intérêts et de la spécificité des communautés acadiennes.

Je voudrais qu'on ne les oublie pas, sans quoi leurs luttes et leurs efforts incessants auraient été vains. Cette motion ne vise pas à changer l'histoire. L'histoire demeure intangible et rien de ce que nous pourrions faire aujourd'hui ne pourra faire disparaître les souffrances passées.

Mais pour tirer les leçons du passé, encore faut-il avoir le courage et la clairvoyance de le regarder en face.

Les pharaons de l'Égypte ancienne avaient bien compris que la seule façon d'assurer leur immortalité et celle de leurs hauts faits et réalisations était de les inscrire dans la pierre, comme pour les graver dans la mémoire de l'humanité. Ils en avaient donc déduit que le seul fait de marteler ces inscriptions pour les faire disparaître aurait pour effet de condamner les événements et les personnages auxquels ils faisaient référence aux limbes de l'indifférence, puis de l'oubli.

Nous n'avons pas le droit d'entretenir cette apparente indifférence qui entoure l'un des événements les plus dramatiques de notre histoire, sous peine de le condamner à l'oubli.

Imaginez que des collègues à la Chambre, prenant connaissance de la motion dont il est aujourd'hui question, n'avaient jamais entendu parler des événements entourant la déportation des Acadiens, ayant même peine à croire que de tels événements aient pu réellement survenir ici, au Canada. Cela vous donne une petite idée de l'ampleur du problème et du fait qu'il nous faut s'y attaquer sans tarder.

En tant que représentantes et représentants de la population, une responsabilité historique nous incombe. Nous n'avons pas le droit de pécher par omission; le souvenir de tout un peuple en dépend. Et ce souvenir ne doit jamais devenir qu'un simple élément folklorique propre au peuple acadien seulement. Nous avons donc aujourd'hui le devoir de reconnaître officiellement l'existence de ces faits historiques et de réclamer que des excuses soient formulées, tout simplement.

Cette démarche est d'autant plus nécessaire que l'ordre de déportation, qui a été en vigueur jusqu'en 1764, n'aurait jamais été formellement levé depuis.

Il convient cependant de préciser ici que cette motion n'a absolument pas pour objet le versement éventuel de réparations aux familles et aux descendants de personnes lésées au moment de la déportation.

Nous aurons très prochainement l'insigne privilège de poser, ici à la Chambre, un geste historique en votant sur cette motion. J'invite tous mes collègues de la Chambre à ne pas se laisser distraire par des considérations partisanes et à appuyer massivement cette motion. Car cette question fondamentale dépasse largement les lignes de parti. Il importe donc que la Chambre pose le geste solennel qui s'impose devant l'histoire et devant le peuple acadien.

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