Motion M-382 :
: M. Scott Reid, Lanark-Carleton, PCC

37e Législature, 3e Session
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 008
Le mercredi 11 février 2004

Les préjudices causés au peuple acadien

Scott Reid

[Traduction]

Mme Lynne Yelich (Blackstrap, PCC): Monsieur le Président, le député de Lanark-Carleton [n.a. - M. Scott Reid, Lanark-Carleton, PCC] ne pouvait pas se présenter aujourd'hui. Il m'a donc demandé de prononcer le discours qu'il avait préparé. Voici donc ce que le député de Lanark-Carleton a à dire:

Monsieur le Président, c'est avec regret que je voterai contre la motion no 382, pour deux raisons. Premièrement, j'estime que cette motion s'appuie sur un principe douteux, à savoir que la culpabilité puisse être collective et se transmette d'une génération à l'autre.

La deuxième raison de mon opposition est que, malgré les bonnes intentions de ceux qui ont rédigé cette motion, elle semble attribuer la responsabilité ultime de l'expulsion des Acadiens à la Couronne, ce qui n'est pas une interprétation exacte des événements de 1755. Une interprétation plus conforme à l'histoire accuserait plutôt les gouverneurs coloniaux de la Nouvelle-Angleterre et les pionniers qu'ils représentaient.

Je commencerai par l'argument historique et je reviendrai plus tard au raisonnement philosophique. Beaucoup de faits entourant la déportation des Acadiens ne font aucun doute. En 1755, les autorités coloniales ont amorcé un processus de déracinement et de déportation de la partie de la population acadienne qui était établie sur le territoire britannique, en commençant par le centre de la colonie acadienne le long de la côte est de la baie de Fundy.

Le gouverneur Lawrence, de la Nouvelle-Écosse, et le gouverneur Shirley, commandant en chef des forces britanniques en Nouvelle-Angleterre, ont commencé par saisir les armes à feu des colons pour les empêcher de résister par la force. Puis ils ont pris en otage un grand nombre d'hommes adultes afin de garantir la docilité de leurs familles au moment de la déportation.

Au cours des années qui ont suivi, environ les trois quarts de la population acadienne totale, soit 13 000 personnes, ont été déportées. Certains de ces gens ont été expédiés en Angleterre, d'autres en Louisiane, tandis que d'autres encore étaient renvoyés en France. Toutefois, si l'on connaît avec certitude l'ampleur des souffrances causées par les déportations de 1755 à 1763, il est beaucoup plus difficile d'en attribuer précisément la responsabilité historique.

Chose certaine, les gouverneurs Lawrence et Shirley ont été au coeur des prises de décisions et ils doivent en porter la responsabilité ultime. Mais rien ne prouve qu'ils aient agi avec l'aval du Parlement de Westminster. Selon la version historique la plus couramment acceptée, Lawrence aurait agi avec l'autorisation du conseil local de la Nouvelle-Écosse, tandis que le Parlement et le roi George n'auraient pas participé à la planification des déportations.

Comme je l'expliquerai dans un instant, j'insiste sur le fait que je rejette la notion de culpabilité collective ou héréditaire, et que même si je l'acceptais, les premières excuses collectives aux Acadiens devraient venir du gouvernement du Maine.

Néanmoins, la Reine a récemment choisi de se pencher sur la question, renvoyant au Cabinet canadien le soin de trancher la question des excuses. Comme nous le savons tous, le Cabinet a récemment examiné cette question, et en décembre dernier, la gouverneure générale a signé une proclamation royale à ce sujet. Voici des extraits de cette proclamation:

«Attendu que, le 28 juillet 1755, la Couronne, dans le cadre de l'administration des affaires de la colonie britannique de la Nouvelle-Écosse, a pris la décision de déporter les Acadiens;»

«Attendu que la déportation du peuple acadien, communément appelée le Grand Dérangement, s'est poursuivie jusqu'en 1763 et a eu des conséquences tragiques, plusieurs milliers d'Acadiens ayant péri;»

«Attendu que la Couronne reconnaît les faits historiques mentionnés précédemment ainsi que les épreuves et souffrances subies par les Acadiens lors du Grand Dérangement;»

«À ces causes, la gouverneure générale en conseil, sur recommandation de la ministre du Patrimoine canadien, a ordonné que soit prise une proclamation désignant le 28 juillet de chaque année comme «Journée de commémoration du Grand Dérangement».

Je félicite le gouvernement de sa décision de faire cette proclamation, qui me semble tout à fait appropriée.

Je considère légitime qu'on s'attende à ce que tous ceux qui participent à la vie publique d'une société civilisée adoptent une attitude exemplaire à l'égard du passé. Cette attitude suppose l'acceptation d'actes passés qui sont jugés bons et le rejet de ceux qui sont considérés injustes ou monstrueux.

La reconnaissance des tribualtions et des souffrances vécues par le peuple acadien et la désignation d'une journée officielle pour commémorer cet épisode regrettable et malheureux de notre histoire s'avèrent appropriées.

Toutefois, contrairement à la proclamation de l'État, la motion dont la Chambre est saisie demande explicitement des excuses pour ce tort historique. Il s'agit d'une notion assez différente reposant sur l'idée que la culpabilité pour une injustice passée peut être transmise à une institution ou à une collectivité, exactement comme les effets secondaires de cet acte répréhensible continuent de se répercuter sur les descendants des victimes directes. Or, ce principe est tout simplement faux.

Je n'accepte pas l'idée qu'une institution puisse préserver le sentiment d'une culpabilité collective, hérité des générations successives de ceux qui sont devenus membres de cette institution ou qui sont placés sous sa protection.

Une attitude de culpabilité ou de responsabilité collective, ou pire encore, le fait de s'attendre à ce que d'autres assument la culpabilité ou la responsabilité d'actes auxquels ils n'ont pas participé, m'apparaît tout à fait futile.

Un débat similaire à celui qui a lieu aujourd'hui s'est tenu à la chambre il y a 20 ans le dernier jour de Pierre Trudeau comme premier ministre. À la période des questions, Brian Mulroney lui a demandé de formuler des excuses pour l'internement des Canadiens d'ascendance japonaise pendant la guerre. La réponse de Trudeau révèle une compréhension subtile de la distinction que j'essaie de faire aujourd'hui:

« Je ne vois pas comment je pourrais m'excuser pour un événement historique auquel personne ici n'a pris part. Nous ne pouvons que regretter ce qui est arrivé. Mais pourquoi se lancer dans de grands discours pour dire que des excuses valent mieux que de simples regrets?»

«Je ne pense pas que le gouvernement ait pour rôle de corriger les erreurs commises par le passé. Il ne peut pas réécrire l'histoire. Nous sommes là pour nous occuper de ce qui se passe actuellement ...»

J'adhère au raisonnement figurant dans cette déclaration. Dans le cas du grand dérangement, les parties lésées sont mortes depuis longtemps. Ceux qui ont commis le tort sont morts depuis longtemps. L'empire britannique, par le pouvoir duquel les torts ont été commis, n'existe plus et le principe du mercantilisme sur lequel il reposait a été fermement et absolument rejeté par l'actuelle couronne et par l'État britanniques.

Fait qui est le plus important de tous, peut-être, les colonies britanniques de la Nouvelle-Angleterre, dans l'intérêt desquelles les torts ont été commis, ont cessé d'exister comme entités politiques il y a plus de deux siècles, avec l'avènement de l'indépendance américaine.

Ainsi il ne reste personne, pas même une entité morale, qui peut vraiment et honnêtement accepter la culpabilité en son nom ou être la cible justifiée de l'indignation des autres.

Nous avons tout de même l'obligation morale de condamner ces erreurs tout autant que celle de ne pas rester neutres devant les préjudices monstrueux des temps plus récents.

En tant qu'acteurs moraux, nous avons le devoir de reconnaître les erreurs du passé, de les faire connaître à nos concitoyens et de faire tout en notre pouvoir pour qu'elles ne puissent se répéter sous quelque forme que ce soit.

Ainsi, je voudrais féliciter notre collègue de Verchères-Les-Patriotes pour les efforts sincères qu'il a déployés pour veiller à ce que cet épisode de notre histoire ne soit pas oublié.

Quoi qu'il en soit, je crois que la récente proclamation, qui reconnaît l'existence de cet événement sans offrir d'excuses officielles, est suffisante pour exprimer notre douleur à l'égard de ces torts passés. Elle nous permet, sans condamner les autres, de préciser que nous sommes déterminés à ce qu'on ne tolère plus à l'avenir sur le sol canadien des préjudices de ce genre.

Ainsi, je suis en désaccord pour des motifs historiques et philosophiques avec l'hypothèse fondamentale à la base de la motion no 382, qui veut que la Couronne doive assumer une responsabilité plus importante dans ce dossier.

Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec la prétention historique voulant que la Couronne britannique, passée ou présente, soit responsable en fin de compte du Grand Dérangement.

Ensuite, je ne partage pas la prétention philosophique voulant que nous pouvons hériter d'une culpabilité collective qui nous force à présenter des excuses pour des événements qui ont eu lieu il y a plus de deux siècles.

Ainsi, je dois voter contre cette motion et encourager les autres députés à en faire autant.

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