Motion M-382 :
: M. Réal Ménard (Hochelaga-Maisonneuve, BQ)

37e Législature, 3e Session
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 008
Le mercredi 11 février 2004

Les préjudices causés au peuple acadien

Réal Ménard

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga-Maisonneuve, BQ): Monsieur le Président, permettez-moi de dire que c'est avec solennité et un peu avec le sens de l'histoire que je participe au débat auquel nous convie notre collègue de Verchères-Les-Patriotes. Je suis convaincu qu'en présentant cette motion-je comprends que c'est la quatrième fois que nous sommes saisis d'un débat comme celui-ci-, le député de Verchères-Les-Patriotes a voulu qu'on se rappelle l'importance de la contribution des Acadiens au fait francophone en Amérique du Nord. D'aucune manière il n'était animé par des desseins revanchards, des desseins négatifs ou même des desseins pessimistes.

En effet, je sais que le député de Verchères-Les-Patriotes a pu échanger à plusieurs reprises avec des Acadiens et a donc pu constater en personne le dynamisme de cette communauté, de cette nation et, évidemment, la foi en l'avenir qui les anime.

Cependant, ce potentiel d'optimisme ne doit pas nous empêcher de comprendre l'importance de l'événement historique qu'a été la déportation, le Grand Dérangement de 1755 à 1763.

Bien sûr, je ne connais pas aussi bien que le député de Verchères-Les-Patriotes la trame historique qui a mené à la déportation, mais j'ai pu mettre la main sur un extrait de l'édit, de la déclaration, de la proclamation qui faisait en sorte que des communautés entières et des citoyens étaient déplacés de ce qu'était l'Acadie du XVIIIe siècle. On parle ici de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.

J'aimerais faire état de cela, afin qu'on comprenne bien ce que cela a pu être pour eux que de vivre cet événement. On dit:

«John Winslow a lu l'édit de déportation dans la petite église du village de Grand-Pré.»

On comprend combien les églises étaient un pôle de regroupement à cette époque, et c'est une tradition qui allait demeurer encore plusieurs années par la suite.

On est donc en septembre 1755. La communauté acadienne reçoit un message. Ce sont des francophones, des gens qui ont des racines, des gens qui ont une histoire, des gens qui ont un goût de ce coin de pays. Ils se font dire ceci par John Winslow, parlant au nom du souverain, donc au nom de George II, en ce 5 septembre 1755:

« J'ai reçu de Son Excellence, le gouverneur Lawrence, les instructions du roi. C'est par ses ordres que vous êtes assemblés pour entendre la résolution finale de Sa Majesté concernant les habitants français de cette province de la Nouvelle-Écosse [...] Vos terres, vos maisons, votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqués au profit de la Couronne avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos mobiliers, et que vous-mêmes vous devez être transportés hors de cette province. [...] Les ordres péremptoires de Sa Majesté sont que tous les habitants de ce district soient déportés [...]»

Imaginez-vous, en ce milieu de XVIIIe siècle, une communauté entière-une communauté fondatrice, faut-il le dire-est donc appelée à être déracinée et à refaire sa vie. Cette communauté sera disséminée aux quatre coins de l'empire, et pas toujours de la manière la plus élégante, et même souvent avec un potentiel de violence et de tourments pour dire le moins, comme allaient nous le rappeler les différents écrits et les différents historiens qui ont étudié ce phénomène.

Le député de Verchères-Les-Patriotes a, à mon sens, été très bien avisé de demander aux parlementaires de se rappeler de cette situation d'abord au nom du respect de l'histoire, mais aussi de s'en rappeler pour l'avenir de cette communauté.

Depuis quelques années, on assiste à un mouvement de réhabilitation de la mémoire historique. Est-ce que ce n'est pas en cette Chambre que l'ex-premier ministre Mulroney a présenté des excuses, au nom de son gouvernement et aussi du peuple canadien, à l'endroit de la communauté nippo-canadienne, qui avait fait, comme on le sait, l'objet d'emprisonnements injustifiés dans des camps de concentration au cours de la Seconde Guerre mondiale?

Est-ce que Sa Sainteté le pape Jean-Paul II n'a pas aussi, au nom du respect de l'histoire, présenté des excuses au nom de l'Église et de l'État? On sait que le Vatican, par l'Accord de Latran est un État, au même titre que le Canada, au même titre que les quelque 200 États qui existent à travers le monde. Donc Sa Sainteté a présenté des excuses au peuple juif pour les sévices qu'il avait subis au cours de l'histoire, particulièrement au XXe siècle.

Plus près de nous, l'ex-premier ministre Bouchard a présenté des excuses, toujours au nom de son gouvernement et au nom des Québécois et des Québécoises, à l'endroit des enfants de Duplessis qui avaient fait l'objet de traitements injustifiés dans des orphelinats du Québec, dans les années 1940, 1950 et 1960.

Donc le député de Verchères-Les-Patriotes a été extrêmement avisé de vouloir réhabiliter la mémoire de l'histoire. Je comprends que c'est une motivation de sa motion de dire combien le fait français, combien la présence des Acadiens dans cette partie de l'Amérique du Nord-qui est aujourd'hui la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard-est quelque chose de proprement méritoire. Il veut nous inviter à comprendre cela.

Avez-vous idée de ce que cela a voulu dire pour leur survivance que d'être toujours présents parmi nous avec dynamisme, avec confiance, avec un sens de l'entrepreneurship et, ma foi, en ayant une contribution proprement extraordinaire à l'édification et au rayonnement de la francophonie?

Le député de Verchères-Les-Patriotes poursuivait donc deux objectifs. Il y a ce sens de l'histoire qui donne un éclairage cruel quelquefois sur le passé, mais qui nous est indispensable pour comprendre l'avenir. On le sait, dans notre histoire constitutionnelle, il y a eu deux Couronnes qui ont régné sur le Canada. Il y a eu la Couronne française, la Nouvelle-France, de la découverte des Amériques jusqu'à la proclamation de 1760, et il y a bien sûr eu la Couronne britannique jusqu'au Statut de Westminster. On sait maintenant que la Couronne britannique a manoeuvré, a donné des ordres et a posé des gestes pour que cette déportation soit possible.

Un jésuite disait qu'un texte sorti de son contexte devient un prétexte. Notre collègue du Parti conservateur du Canada avait raison de rappeler qu'on ne peut pas refaire l'histoire. Ce n'est certainement pas le but de la motion du député de Verchères-Les-Patriotes de réécrire, de réinterpréter ou de biaiser l'histoire.

La motion nous invite à reconnaître le passé trouble de la communauté acadienne en raison de politiques délibérées de la Couronne britannique, tout cela parce que nous sommes reconnaissants et solidaires de ce fait français en Amérique du Nord. Je pourrais reprendre la formule de John Kennedy qui disait du Canada et des États-Unis: «La géographie a fait de nous des voisins. L'histoire a fait de nous des amis.» Je pense que le peuple québécois pourrait dire ce soir aux Acadiens que la géographie a fait de nous des voisins, et l'histoire a fait de nous des amis.

Le député de Verchères-Les-Patriotes est attaché comme nous au fait français en Amérique du Nord, à son passé et à son avenir et c'est pour cette raison qu'il a déposé, à quatre reprises, la motion dont nous sommes saisis ce soir.

Je comprends que l'esprit de sa motion n'est pas de réclamer des excuses ni d'être dans un mode revanchard ou négatif. Je pense qu'il se fait l'écho d'un certain nombre de ses compatriotes et de nos compatriotes de l'Acadie, alors que deux évènements importants seront soulignés dans les prochains mois, dans les prochaines semaines. Je pense bien sûr au 400e anniversaire de la fondation de l'Acadie et au 250e anniversaire de la déportation des Acadiens, en septembre 2005 si je ne me trompe pas.

Le député de Verchères-Les-Patriotes souhaiterait recevoir Sa Majesté la reine Élizabeth II à cette occasion. Je pense qu'il est impossible qu'elle ne comprenne pas le sens de cette motion, elle qui a certainement le sens de l'histoire puisqu'elle est une Windsor, issue d'une famille qui a fait l'histoire.

Le député de Verchères-Les-Patriotes souhaiterait que Sa Majesté, qui devra de toute manière se rendre au Canada à l'un ou l'autre de ces événements, puisse faire lecture de la proclamation royale, ce qui est un geste qu'il a souligné comme positif. La Couronne canadienne reconnaît les sévices, les tourments et les dérangements qui ont été commis à l'endroit des Acadiens et des Acadiennes. Malheureusement, cela ne saurait épuiser toute la compréhension et la lecture qu'il faut faire de l'histoire.

Si Sa Majesté, dans un geste de réconciliation dont nous avons donné des exemples, qui ont engagé différents chefs de gouvernement à un moment ou un autre, acceptait de faire lecture de cette proclamation, nous serions invités à comprendre qu'elle partage la souffrance passée des Acadiens et des Acadiennes qui, d'aucune manière, nous le répétons, n'altère notre foi en l'avenir pour une communauté que nous savons vibrante d'énergie et totalement tournée vers l'avenir.

C'est le sens de la motion du député de Verchères-Les-Patriotes. En conclusion, je crois que tous les parlementaires doivent lui être reconnaissants pour son sens de l'histoire, son goût de l'équité et sa formidable solidarité pour le fait francophone en Amérique du Nord.

Le président suppléant (M. Bélair): La période prévue pour l'étude des affaires émanant des députés est maintenant expirée, et l'ordre est reporté au bas de la liste de priorité au Feuilleton.

Comme il est 18 h 55, la Chambre s'ajourne jusqu'à demain, à 10 heures, conformément à l'article 24(1) du Règlement.

(La séance est levée à 18 h 55.)

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