LES DÉPORTÉS DE L'ACADIE - Le dossier n'est pas clos . . .

Par Huguette Young, Presse canadienne, Ottawa

Warren Perrin y a mis tout son c*ur! Après tout, quand on se dit descendant de Joseph " Beausoleil " Broussard, le héros acadien de la " résistance " qui aboutira contre vents et marées en Louisiane, on ne fait pas les choses à moitié.

Ce qui passionne Warren Perrin et la fait rager à la fois, c'est l'histoire tragique de la déportation du peuple acadien en 1755. Les Acadiens seraient-ils toujours considérés des criminels aux yeux de la Couronne britannique? La pensée le fait frémir, mais les recherches démontrent que l'ordre de déportation des Acadiens de la Nouvelle-Écosse, donné par le lieutenant-gouverneur Charles Lawrence, reste en vigueur, plus de 240 ans après l'exil. Un non-sens qu'il n'arrive pas à expliquer. Armé d'une patience inébranlable, cet avocat passionné de 48 ans s'est donné comme mission de faire résilier cet ordre au nom du peuple acadien. Et plus particulièrement au nom des 500 Acadiens déportés à Philadelphie, qui avaient demandé en 1763 à la Couronne de les amnistier.

La requête de Perrin a donc abouti sur le bureau de Margaret Thatcher et de Sa Majesté la Reine le 5 janvier 1990. Descendant lui-même des exilés acadiens, Perrin a appris la triste histoire de la déportation de 1755 lorsqu'il a cherché les origines de sa famille. Ses enfants, dit-il, ne comprennent pas pourquoi leurs arrière-grands-parents avaient été taxés de criminels et déportés aux quatre coins de la planète.

Entêté, Perrin multiplie les démarches auprès de Londres pour obtenir un pardon ou à tout le moins une reconnaissance que l'ordre de déportation était illégal, voire immoral et cruel.

Il ne recule pas devant le mot génocide. " Le terme ne veut pas toujours dire exécution d'un peuple, comme la solution finale de Hitler à l'endroit des Juifs, affirme-t-il. D'habitude, ce n'est pas de cette façon que l'on s'y prend. Ce n'est pas ce qui se passe chez les Kurdes ou les Bosniaques. {*} L'exil est une autre forme de génocide. "

" On peut parler de génocide lorsque le but est de tuer ou d'anéantir un groupe ethnique ", oppose M. Keith Dow, un enseignant de l'Université du Nouveau-Brunswick et ex-député conservateur à la législature provinciale. " Ces gens-là furent déportés et non abattus. " Entre MM. Dow et Perrin, c'est la guerre des mois. Lettres, échanges acerbes, débats publics aigres-doux au cours du Congrès mondial acadien à Moncton en 1994. Bref, leur positions sont aux antipodes. " L'emploi du mot génocide est incendiaire, excessif et extrême, poursuit M. Dow. Cela contredit les faits historiques. "

" Je n'excuse pas leurs gestes. Ce fut une tragédie pour le peuple acadien mais ils ont refusé de prêter le serment d'allégeance après avoir participé à des actes de sédition ", avance-t-il en donnant l'exemple de la résistance française au Fort Beauséjour, à Sackville, près de Moncton.

" Perrin est peut-être bon avocat, mais il n'est pas historien ", lance à son tour Mme Naomi Griffith, historienne de l'Université Carleton et spécialiste de l'Acadie. Selon elle, l'ordre de déportation fut annulé lorsque Londres permit aux Acadiens de retourner vivre sur leurs terres en 1764 et lorsque les membres du Board of Trade informèrent Wilmot qu'il devait autoriser les Acadiens à s'installer en Nouvelle-Écosse à condition de prêter le serment d'allégeance ", écrit-elle dans le dictionnaire bibliographique du Canada.

Habitué à la critique, M. Perrin, qui est aussi président du Conseil pour le développement du français en Louisiane, ne se laisse pas décourager pour autant. Cadien de l'année en 1990, cet associé du cabinet Perrin, Landry, de Launay et Durand, de Lafayette (Louisiane), a fondé le Musée acadien d'Erath, près de Lafayette, et occupe la présidence de la Fondation culturelle du patrimoine acadien à Erath. Son objectif, c'est de panser les blessures, de réparer les injustices et d'entamer un processus de réconciliation. Il faut, dit-il dans sa requête à Londres, défaire le mythe de l'histoire d' " Évangéline ", symbole " imaginaire " créé par le poète américain Longfellow. Selon Perrin, la déportation des Acadiens * qui avaient maintes fois juré fidélité à la Couronne britannique * défiait la volonté de Londres et du Board of Trade qui administrait les colonies à l'époque.

" Les coupables, en l'occurrence Charles Lawrence et ses associés, sont décédés depuis belle lurette, se plaît à rappeler M. Perrin. En quelque sorte cela simplifie les choses car il s'agit d'un procès in absentia où les victimes sont décédées, où les coupables sont décédés, mais où les survivants des victimes réclament des poursuites criminelles. Lorsqu'il s'agit de crimes contre un peuple, c'est un principe bien établi en droit international . . . "

" Le Board of Trade n'a jamais ordonné la déportation ", relate-t-il. Selon lui, le 23 août 1755, le Board of Trade dépêcha une lettre urgente à Lawrence lorsque les intentions de celui-ci devinrent suspectes : " Ne prenez aucune sanction à l'égard des Acadiens ", peut-on y lire.

Autre fait à souligner, Lawrence aurait outrepassé son autorité en ordonnant l'exil des Acadiens, n'étant que lieutenant-gouverneur par intérim au moment de la déportation. Il a été confirmé dans ses fonctions en 1756.

UN PETIT AIR DE TENSION

Dès le début, M. Perrin a décidé de ne pas revendiquer une réparation financière au nom du peuple acadien. " Si j'avais demandé une telle chose, j'aurais craint qu'on ne me prenne pas au sérieux ", explique-t-il. Vu la nature très particulière de sa requête, il a vite compris qu'il devait se montrer " créatif ". Il a décidé de ne pas s'imposer des délais trop contraignants, surtout que l'objet de sa requête a trait à un événement qui s'est déroulé il y a près de deux siècles et demi.

" Il n'y a pas de raison d'imposer des délais parce que ces délais me forceraient peut-être à réagir trop précipitamment, à déposer ma requête en cour alors qu'un autre moyen serait plus rentable, estime M. Perrin. Si je dépose ma requête en cour, je suis certain que l'on peut compter sur une autre dizaine d'années de procédures. "

Il a pris l'engagement de ne pas entamer de poursuites tant et aussi longtemps que les deux parties négocient de bonne foi. " Nous échangeons de la correspondance et discutons avec les avocats qui représentent les Britanniques dans cette région des É.-U., à Houston, au Texas. "

Les représentants de Sa Majesté adoptent, quant à eux, un ton nettement moins diplomatique. Rejointe à Ottawa, une porte-parole du Haut-Commissariat britannique, Vanessa Hynes, a rétorqué sèchement que Londres n'avait pas, contrairement à ce que prétend M. Perrin, entrepris de négociations sur la question de la déportation des Acadiens. " Nous ne sommes pas en train de négocier ", a-t-elle affirmé.

La Couronne britannique a accepté, l'an dernier, de présenter des excuses officielles pour le traitement infligé en 1863 aux tribus Waikato et Kiingitanga, en Nouvelle-Zélande. Les représentants britanniques avaient alors qualifié ces aborigènes de rebelles et avaient envahi leurs territoires, confisquant injustement leurs terres et ressources.

Londres, pour l`instant, semble dire que le problème acadien relève de la compétence d'Ottawa. Devant quel tribunal M. Perrin déposera-t-il sa requête s'il se rend jusque là? Bonne question, de répondre l'intéressé. Plusieurs options s'ouvrent à lui et il les évalue avec l'aide d'un comité international d'experts.

Une première option serait de déposer sa requête devant un tribunal sur les droits de la personne en Europe. M. Perrin serait alors dans l'obligation de se faire représenter par un Acadien ou un citoyen français car il est d'a que ce tribunal n'accepterait pas une requête d'un citoyen américain.

" Ce serait probablement mon premier choix ", dit-il. Mais il existe d'autres options : déposer une requête devant un forum des Nations Unies " qui se penche sur les violations des droits de la personne et les crimes contre l'humanité ", ou devant un tribunal de la Nouvelle-Écosse. Son dernier choix, le moins plausible, serait de s'adresser directement à un tribunal britannique. De l'avis de M. Perrin, rien ne l'empêche de pouvoir intenter des poursuites relativement à des événements d'un lointain passé. Les Acadiens ont été brimés, et des lois ont été violées. " La loi la plus concrète, c'est cette loi qui accordait aux Acadiens le statut de sujets britanniques, d'expliquer M. Perrin. C'est clair, c'est sur papier. Dans l'ordre de déportation, le juge les qualifiait de sujets britanniques. C'est très important car cela protégeait des sujets britanniques. C'est très important car cela protégeait du même coup leurs droits fondamentaux. Les Acadiens avaient les même droits que n'importe quel citoyen britannique à Londres ", ajoute-t-il. En vertu du traité d'Utrecht de 1713, l'Acadie passe aux mains de l'Angleterre. La reine Anne précisait dans un édit du 23 juin 1713 que les Acadiens avaient le droit de conserver leur religion, leur langue et leur culture, écrit Naomi Griffith. M. Perrin fera aussi valoir que les Acadiens avaient déjà juré fidélité à Sa Majesté en 1730 et qu'en retour, on ne les forcerait pas à prendre les armes contre leurs cousins français. " En 1755, soit 25 ans plus tard, Lawrence s'amène et ignore la prérogative royale. Il ignore les lois du Parlement dans le traité d'Utrecht. Il emploie des excuses très floues pour déporter les Acadiens et s'approprier leurs terres, sans leur offrir la protection de la justice, sans procès, sans rien. Il les appelle des criminels. Ce sont des violations aux lois existant à l'époque. " M. Perrin a aussi déniché un document qui indique qu'un sujet britannique ne pouvait être déporté sans égard à la justice. " Ce fut ignoré ", dit-il. RÉFLEXE D'UN SOUS-MINORISÉ Qu'on l'appuie ou qu'on s'y oppose, la requête de M. Perrin continue de faire couler beaucoup d'encre. La législature de la Louisiane s'est rangée du côté de M. Perrin. Le 10 juin 1993, elle adoptait une résolution exhortant le gouvernement de la Grande-Bretagne " à restaurer le statut de neutralité aux Acadiens et à déclarer officiellement la fin de l'exil acadien ". Pour le sénateur acadien Gérald Comeau, de la Nouvelle-Écosse, cette erreur du passé aurait dû être corrigée depuis longtemps, ne serait-ce que pour dissiper cette impression que les Acadiens avaient agi illégalement et qu'ils avaient été punis en conséquence. " On ne cherche aucunement le pardon car d'après les Acadiens, ils n'étaient pas dans l'erreur. On ne cherche pas le pardon car pour nous, on n'avait pas commis quelque chose d'illégal. Pour d'autres, mieux vaut tourner la page sur ce douloureux épisode de l'histoire acadienne. " Si on passe son temps à réparer le passé, on ne bâtit pas l'avenir, réplique l'auteure Antoine Maillet. Si je demande à la reine d'Angleterre, qui n'a rien à voir là-dedans, des excuses au nom de mon ancêtre, il y a bien des gens qui vont venir me demander à moi, Blanche, ce qu'on a fait aux gens de couleur et aux autres. Pour Robert Pichette, de Moncton, nationaliste acadien et chroniqueur au Telegraph Journal de St-Jean, M. Perrin fait preuve d'un complexe de " sous-minorisé ". " La croisade de M. Perrin, les gens la prennent très mal ici. Les gens pensent que c'est une perte de temps. C'est passé cela, surtout avec l'avènement de M. Roméo Leblanc (le Gouverneur général) qui est littéralement assis sur le trône . . . Et surtout que ça vient de l'extérieur. Ça n'apporte rien à notre place dans le monde. " Huguette Young est Journaliste à La Presse canadienne, à Ottawa.

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