OUI À UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA DÉPORTATION

L'ACADIE NOUVELLE - le 22 novembre 2002, p. 13

Fidèle Thériault, Historien

Le Manifeste Beaubassin, publié dans l'Acadie Nouvelle du 25 octobre dernier, avait pour but d'informer les lecteurs et de les faire réagir afin d'entamer une discussion saine sur un chapitre important de l'histoire acadienne, la Déportation. En se dirigeant vers le 400e anniversaire de la fondation de l'Acadie et le 250e de la Déportation, le temps semble propice à une discussion franche afin de connaître davantage ce qui a changé d'une manière draconienne le cours de l'histoire acadienne. Nous subissons encore en tant que peuple les répercussions et les effets de ce drame. Avant 1755, les Acadiens étaient majoritaires dans les provinces Maritimes. La Déportation a réduit la population acadienne à celle de minoritaire, et elle l'est toujours.

L'histoire de la Déportation est encore bien mal connue. Cela est dû au fait que la documentation est plus ou moins complète et que nous, Acadiens, avons peur d'en parler. C'est un sujet qui est resté tabou. Beaucoup de mythes, que l'on prend pour de la réalité, hantent encore l'histoire de l'un des plus grands drames de l'humanité en Amérique du Nord. Il nous faut retourner aux sources et réexaminer plus soigneusement ce chapitre de l'histoire acadienne. La motion M-241, présenté au Parlement canadien par le député " bloquiste-acadien " Stéphane Bergeron, a suscité beaucoup d'intérêt sur l'histoire de la Déportation. On a pu se rendre compte que les Acadiens veulent plus que jamais connaître la vérité.

Le côté mystérieux de la Déportation a inspiré de nombreux poètes et romanciers. Ce qui nous intéresse dans le présent cas, c'est de différencier la fiction de la réalité. Voici, en résumé, un bref aperçu de quelques mythes et réalités de l'histoire de la Déportation.

La Déportation a commencé pendant la guerre de Sept Ans. FAUX. La déportation a commencé en temps de paix. La guerre de Sept Ans a commencé par une déclaration de guerre le 18 mai 1756 et se termina en 1763 par le traité de Paris. Si la guerre avait commencé en 1755, on l'aurait appelée la guerre de Huit Ans. Même si la Grande-Bretagne cherchait à provoquer la France par des agressions en Amérique du Nord, cela ne signifiait pas pour autant que la guerre était déclarée entre les deux pays. Officiellement, on était toujours en temps de paix. La Seconde Guerre mondiale a une histoire semblable. Les Allemands envahirent la Tchécoslovaquie en 1938, mais personne ne dit pour autant que la Seconde Guerre mondiale a commencé en 1938. On parle toujours de la guerre de 1939 à 1945.

Les Acadiens ont été déportés parce qu'ils n'ont pas voulu prêter un serment d'allégeance inconditionnel au roi d'Angleterre. FAUX. Le serment d'allégeance fut un prétexte invoqué par les autorités britanniques. Plus de la moitié des Acadiens, vivant dans la péninsule de la Nouvelle-Écosse en 1755 étaient citoyens britanniques de par leur naissance. Étant nés en territoire britannique, ils n'avaient pas à prêter un serment d'allégeance pour valider leur citoyenneté. Il en est toujours de même de nos jours. On est citoyen d'un pays ou on ne l'est pas. On ne peut pas être citoyen à moitié.

Il faut comprendre que les autorités anglaises avaient divisé les Acadiens en deux groupes, avec chacun un prétexte, pour justifier leur déportation. Ceux de la région de Chignectou avaient été déclarés rebelles. Cela importait peu s'ils avaient pris les armes ou non contre les Britanniques. On ne leur demanda pas de prêter le serment d'allégeance. Lawrence avait à ce sujet donné des ordres biens précis au colonel Monckton le 25 juin 1755 : " À tout prix, ne souffrez pas qu'ils (les Acadiens) prêtent le serment d'allégeance ".

Ce sont les Acadiens de la région de Grand-Pré et de Port-Royal qui furent déportés sous le prétexte qu'ils auraient refusé de prêter le serment d'allégeance. Après 1755, on ne s'appuya pas sur ce que les Acadiens avaient été rebelles ou non, qu'ils avaient prêté le serment d'allégeance ou non pour les chasser de leur pays, mais sur une question de race, c'est-à-dire leur identité acadienne. Tous les Acadiens vivant dans les provinces Maritimes furent considérés criminels jusqu'en 1763. Ils furent condamnés sans procès, jetés en prisons ou déportés.

Leurs droits à leur propriété étaient garantis par le Traité d'Utrecht et par une lettre de la reine Anne en 1713. La prestation du serment d'allégeance n'avait pas été stipulée comme une condition à ce droit. Ils avaient donc droit à la protection du roi d'Angleterre comme ses sujets naturels et ne devaient pas avoir à craindre de persécution de la part de ce dernier.

Lawrence fut responsable de la Déportation. FAUX. Lawrence et son conseil n'avaient pas l'autorité nécessaire pour prendre une telle décision. D'ailleurs, des documents indiquent que ce fut l'amiral Boscawen qui supervisa les opérations de la Déportation en 1755 et non Lawrence. Admettons que la Couronne d'Angleterre n'était pas au courant de la Déportation en 1755, ce que je doute fortement, elle l'était certainement les années qui suivirent. Donc, force nous est d'admettre que les Acadiens qui furent déportés entre 1756 et 1763, le furent sous la pleine autorité et la responsabilité de la Couronne britannique.

La religion ne fut pas un facteur dans la déportation. FAUX. Avec la Déportation commença une véritable persécution religieuse contre les catholiques des provinces Maritimes. Aucun catholique ne devait être enrôlé dans l'armée que leva Monckton. Avant de décréter la Déportation, on prit soin d'enlever les prêtres de leurs paroisses et de les jeter en prisons. On brûla les églises catholiques ou on s'en servit comme casernes. En 1758, on passa une loi interdisant à tout catholique d'être propriétaire foncier en Nouvelle-Écosse, et on interdit aux prêtres catholiques le droits de séjour et d'exercer leur ministère sur le territoire. Toute personne donnant asile à un prêtre était passible d'amende, de prison et de pilori. Cette loi ne fut seulement abolie qu'en 1783.

La légalité de la Déportation. Plusieurs juristes se sont penchés sur la légalité de la Déportation. La plupart sont d'avis que celle-ci a été faite dans l'illégalité des lois de l'époque. Un crime a été commis contre les Acadiens entre 1755 et 1763. Une enquête devrait être instituée pour en connaître les responsables et les torts qu'ont subi les Acadiens. Des Acadiens en exil l'auraient demandée au roi d'Angleterre, mais ils n'auraient jamais reçu de réponse à leur requête. On devrait réitérer cette demande à la Couronne britannique. Plusieurs questions restent encore sans réponse.

Les auteurs du Manifeste ont eu le courage d'agir et de payer de leurs deniers une pleine page de publicité dans un journal pour faire connaître leurs profondes convictions sur le sujet. On doit les féliciter pour leur courage et leur audace. L'idée d'une commission d'enquête est très bonne et devrait être encouragée. Il faut comptabiliser les pertes qu'ont subies les Acadiens pendant ces années de persécutions où plusieurs sont morts martyrs pour un crime qu'ils n'avaient pas commis.

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