Le pays bilingual

Rino Morin Rossignol - 4 juin 2003

Rino Morin Rossignol Chroniqueur morinrossignol@sympatico.ca

Le candidat disait qu'il avait parlé avec un délégate. L'organisateur disait qu'il était satisfié. Un peu plus tard, un autre disait qu'il avait un agrimante et qu'il aimait les zidis d'untel. Encore plus tard, le candidat attendait le résultate. Bien entendu, il était nécessaire de présenter une nouveau leadership pour cet pays et, pour ça, faudrait peut-être faire une riviou. Mais il a été très clair: «Il m'angagé des nouveaux membres de partsou.» Vous l'aurez compris, j'ai suivi, en fin de semaine, le congrès à la direction du Parti progressiste-conservateur du Canada. Voilà un parti qui, comme chacun sait, soutient mordicus qu'il a des racines from coast to coast. On présume qu'il y a quelques racines françaises dans ça. Mais ce n'est pas évident à l'oreille.

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Il y a plus de trente ans que le Canada s'est donné une politique des langues officielles. Certes, cette politique vise à permettre aux citoyens du pays de recevoir des services en langue française ou anglaise, à leur choix, et n'a pas été conçue pour faire de chaque citoyen un parfait bilingue. C'est généralement en famille ou en classe qu'on devient bilingue. Pour les francophones, il y a aussi la cour de récréation, les arcades, l'Internet, les films, la musique, le sport, la job. La vie, quoi! Mais il n'en demeure pas moins qu'en 2003, il n'est carrément plus tolérable que des personnes ou des partis qui prétendent avoir les compétences nécessaires pour briguer les plus hautes positions politiques et gouvernementales au pays en soient encore à baragouiner un français bâtard, certainement plus approprié dans des comédies pour faire rire que dans des congrès à la chefferie pour se faire élire. Pour moi, dans le contexte canadien, la compétence d'un chef de parti, ou d'un haut fonctionnaire, ça comprend le bilinguisme acquis. Un bilinguisme acquis avant d'occuper ces hautes fonctions, pas pendant et pas après. Et pas un bilinguisme fonctional, comme ils disent, mais un bilinguisme qui respecte l'intelligence des interlocuteurs. On ne demande pas à un pilote de Boeing 747 d'apprendre à piloter quand il est rendu au-dessus de l'Atlantique, non?

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Je sais, je sais, je suis trop exigeant. Et je devrais être le premier à me lancer la pierre, car je ne me gêne pas pour fére des fôtes de franssait grosses de même. OK, je vais m'auto-lapider. Tiens, je ferai ça le même jour où Zabeth présentera ses excuses royales à l'Acadie! Mais, en attendant, je soumets humblement, pour ma défense, que je ne le fais que lorsque c'est nécessaire… Cela étant dit, je souligne aussi que je ne brigue pas le leadership d'une formation politique à racines hydroponiques d'un océan à l'autre. Je ne prétends pas avoir la poigne qu'il faut pour tenir un pays à bout de bras. Je ne prétends pas incarner, dans mon être, mes gestes, mes attitudes, l'essence de ce qui fait un Canadien. Je ne suis qu'un timide rossignol haut perché sur un érable, contemplant le carnaval qui nous tient lieu de vie politique. Ça me permet de bitcher.

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Tout ça pour dire que The Official Tongues Act, notre fameuse Loi sur les langues officielles, a signalé un virage majeur dans la vie du pays. On ne peut plus, aujourd'hui, se présenter à la direction d'un parti national sans être bilingue. Mais il faut passer à l'étape suivante: le vrai bilinguisme. Depuis des années, on ne cesse de vanter les mérites du bilinguisme. Cela a permis la mise en place de programmes d'immersion en langue française partout au pays. Et ce, depuis des années. Les gouvernements ont aussi établi des programmes d'apprentissage d'une langue seconde à l'intention de leurs députés et de leurs fonctionnaires. C'est ainsi qu'on peut envoyer une réceptionniste unilingue anglaise étudier le français pendant trois semaines et l'entendre répondre au téléphone, à son retour au boulot: «Jé souis sorry, je la parle pas le françoise. Can you speak English?»

*** C'est peut-être la météo maussade qui me rend pluvieux, mais j'en ai ras-le-pompon de tous ces borborygmes proférés par des personnes qui, très volontairement, se posent en modèle de canadianité. Ou qui obtiennent des postes de hauts fonctionnaires pour cause de grande compétence présumée. Ce printemps, la présidente du Conseil du Trésor, Lucienne Robillard, a déjà supposément sévi à cet égard auprès de certains hauts fonctionnaires. Je parie qu'au lieu de les renvoyer là où ils méritent d'être, pour cause d'incompétence bilinguistique, on va leur offrir un énième cours de français. Ils pourront ensuite obtenir de leur employeur, l'État, leur prime au bilinguisme. Pis moi, qui c'est qui va me payer pour parler anglais? Bien sûr, la chose ne se produirait pas si la personne était unilingue française, car elle n'aurait pas atteint ces hautes fonctions.

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Bon, c'est certain qu'il y a des problèmes plus urgents sur la planète. Par exemple, 30 000 enfants mourront de faim, de maladie et de misère aujourd'hui. Ce n'est pas la première fois que j'utilise cet exemple, mais comme la situation ne change pas, l'exemple est malheureusement toujours d'actualité. Pour en revenir à la vie des partis politiques canadiens, le nouveau chef des conservateurs fédéraux, Peter Mackay, a lui aussi de plus gros problèmes sur les bras que son bilinguisme chevrotant, car l'agrimante qu'il a conclue avec son rival David Orchard, visant à passer en riviou l'Accord de libre-échange, n'a pas fait l'affaire de tous les délégates au congrès. Sans compter les autres membres du parti.

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Ainsi, au cours des prochaines semaines, les conservateurs, qui ne sont déjà plus qu'une tite tite gang, continueront à s'entre-déchirer, accentuant encore plus les divisions dans l'opposition. Mais ce n'est pas grave, car aux prochaines élections fédérales, Paul Martin, qui parle déjà les deux langues officielles, va faire des ravages à la grandeur du pays. Et on aura tous oublié les chicanes des bleus et leurs zidis pour une nouveau leadership pour cet pays de charabia. Thank God.

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