Un thé chez Son Excellence!

Rino Morin Rossignol - 20 août 2003

Rino Morin Rossignol Chroniqueur morinrossignol@sympatico.ca

Je ne suis peut-être pas le seul qui soit tombé de ma chaise à l'annonce de la nomination d'Herménégilde Chiasson au poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick. Cela étant dit, il s'agit, à n'en pas douter, d'une nomination de qualité. Hermé est non seulement un artiste renommé pour son oeuvre polyvalente aussi fertile qu'originale, mais il est aussi l'un des penseurs les plus percutants et les plus émouvants de l'Acadie contemporaine. Il est de mise de lui souhaiter du succès dans cette nouvelle aventure. Quoiqu'en certains milieux, son geste puisse être perçu de façon négative. Particulièrement chez ceux et celles qui n'éprouvent pas de grande sympathie pour la couronne britannique et qui trouvent ahurissant qu'un des «leurs» en soit maintenant le représentant. Car c'est un rôle qui, bien qu'honorifique, est porteur d'une charge symbolique aussi réelle que puissante.

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C'est d'ailleurs le sens de cette charge symbolique qui fait que plusieurs ont pu être étonnés de cette nomination. Personnellement, ce n'est pas tant le fait qu'on lui ait offert ce poste qui m'a court-circuité, c'est le fait qu'il l'ait accepté! C'est la première fois que quelqu'un de ma génération accède à un poste aussi étrange. Notre génération, celle des cheveux longs, des contestations tous azimuts et de la révolution sexuelle des années 1970 a toujours vécu en marge de cette réalité monarchique issue d'une époque tellement révolue que l'on se demande encore comment il se fait qu'elle soit encore en existence. Au hasard de nos remises en question, de nos projets casse-cous, de nos visions culturelles flyées, peut-être avions-nous oublié qu'adviendrait le jour où ce serait notre génération qui serait appelée à occuper de telles fonctions jusque-là très abstraites et très lointaines. Certes, plusieurs membres de cette génération ont déjà commencé à remplacer les têtes d'affiche de notre jeunesse, des têtes d'affiche que nous nous sentions jadis en bon droit de fustiger publiquement pour cause de supposée incurie politique de leur part et de présumée supériorité intellectuelle de notre part. Mais avec le temps, ces anathèmes que nous lancions allègrement dans nos envolées politiques et poétiques se sont tues ou se sont transformées en discours plus conventionnels. Et nous ne nous étonnons plus de voir des membres de cette génération devenir premier ministre, ministre, sénateur, juge, président d'institution publique. Toutefois, ces fonctions nous semblent aller de soi, en quelque sorte. Du moins, elles collent à notre réalité de manière plus évidente. Tandis que celle de lieutenant-gouverneur est plus éloignée de notre quotidien et reflète un parfum de chapeaux à plumes d'un autre âge qui est, ma foi, un brin déconcertant.

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Je ne sais quelles sont les raisons précises qui ont incité le premier ministre Chrétien a choisir le célèbre poète acadien, mais on serait naïf de croire qu'il n'y a pas, dans le choix d'Hermé précisément, quelques considérations socio-politiques, compte tenu des fêtes du 400e anniversaire de l'Acadie l'an prochain et de la commémoration de la Déportation en 2005. D'une part, la question du financement des célébrations de l'an prochain et la lenteur fédérale à cracher le bacon ont suscité la grogne dans les milieux concernés. Le dossier des excuses royales, d'autre part, est toujours d'actualité et toujours problématique. Se pourrait-il que Monsieur Chrétien ait voulu, par cette nomination, répondre indirectement aux doléances acadiennes en appliquant un baume sous forme ornementale? Poussons plus loin la réflexion. Conscient que les émois entourant les excuses royales sont susceptibles de reprendre de la vigueur à mesure que la date commémorative de 1755 approche, et conscient aussi que la reine ne viendra pas demander pardon à qui que ce soit pour un événement dont l'origine plutôt nébuleuse lui permet de prétendre que ni elle ni ses ancêtres n'ont rien à voir avec ça, Monsieur Chrétien aurait peut-être trouvé le moyen de noyer le poisson. Au lieu que ce soit Élizabeth qui soit contrainte de venir dire I'm sorry du bout des lèvres, nous pourrions très bien entendre son représentant, un Acadien, et qui plus est, un Acadien articulé et qui a du panache, transmettre au peuple la pépeine de Madame Windsor, utilisant, bien sûr, des formules diplomatiques ampoulées et convolutées qui, tout compte fait, donnent l'impression de tout dire en taisant l'essentiel. Mais l'honneur de Madame Windsor serait sauf. Et en hauts lieux on applaudirait Son Excellence Hermé qui aurait ainsi disposé, enfin, de cette poutine acadienne très chaude. Et l'affaire des excuses royales serait close, une fois pour toutes, au grand soulagement de ses instigateurs et de ses opposants.

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Dans ce contexte, cette nomination apparaîtrait plutôt ironique. Car, enfin, imaginez que ce soit un Acadien qui vienne s'excuser au nom de la reine pour une Déportation qu'il a lui-même jadis dénoncée dans son oeuvre littéraire! C'est le grand théâtre de la vie, où, comme on dit, la réalité dépasse la fiction. Et Hermé, qui est aussi cinéaste, en sait quelque chose!

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Bon, puisqu'on est sur notre élan, poursuivons sur la voie des nominations honorifiques. En bifurquant vers l'Église, cette fois. Non, non, soyez sans crainte, je ne vais pas grafigner des monseigneurs aujourd'hui. Au contraire, je vais même me ranger pieusement du côté de mes soeurs et de mes frères catholiques. En effet, depuis quelques jours, une question me trotte dans la tête. Étant donné l'importance des fêtes du 400e de l'Acadie; étant donné, par ricochet, la contribution essentielle de l'Acadie à la dissémination de la foi chrétienne en Amérique du Nord; étant donné aussi le lourd tribut que l'Acadie catholique a dû payer à son conquérant protestant, ne serait-il pas approprié que le pape nomme enfin un premier cardinal acadien? Ce serait, de la part de l'Église, une heureuse manière de souligner la foi acadienne, cette foi qu'on exalte toujours dans les discours les jours de grandes fêtes. Ce serait aussi une façon de montrer à l'Acadie que cette fidélité mérite d'être saluée et reconnue de façon unique en lui donnant, via son cardinal, une voix lors de l'élection d'un futur pape.

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Si le Vatican est à cours de candidats, je suis disponible, bien sûr. Qu'est-ce que je ne ferais pas pour l'Acadie! Et je pourrai aller prendre le thé chez Son Excellence Hermé. Mais on n'aura plus à refaire le monde, comme on le faisait en chemises à carreaux dans notre ancienne jeunesse: on l'incarnera en vêtements d'apparat!›

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