Éditorial : Artiste en résidence

Bernard Haché - 28 août 2003

Bernard Haché

C'est fait. Herménégilde est lieutenant-gouverneur. Et déjà l'homme a su faire preuve de la retenue que lui impose sa nouvelle fonction. Alors que sa nomination a choqué, Hermé a pris le parti de ne pas répliquer aux critiques. La reine doit être fière de lui. Et plusieurs d'entre nous aussi. Une fois la stupéfaction première dissipée, nous comprendrons mieux pourquoi cette nomination a eut l'effet d'un caillou balancé dans une fourmilière. Deux Acadiens ont précédemment occupé cette fonction; l'un, Hédard Robichaud, issu de la politique - député-ministre sous Lester B. Pearson - et l'autre, Gilbert Finn, issu du monde des affaires, longtemps associé au mouvement coopératif acadien. Une idée toute préconçue veut que ces deux sphères d'activités sociales souscrivent fort bien à la logique du titre protocolaire et puissamment symbolique dont furent investis les deux hommes. En allant chercher le successeur de Trenholme Counsell en dehors du cercle politique et économique, Jean Chrétien a signifié la fin d'une pratique établie. Désormais, la lieutenance de la reine n'est plus la chasse gardée d'une élite particulière. Certains cris ont retenti pour cette raison. Quelle est la réaction en milieu artistique? L'unanimité y sera toujours franchement théorique. On trouvera certainement d'un côté les pro-Hermé; de l'autre, les jaloux. Plusieurs diront qu'Herménégilde ne peut appartenir au protocole royal. Vous connaissez la reine? Décorum, sobriété et réserve absolue: des attitudes et de l'allure qui tendent vers l'inadmissible pour tout artiste digne de ce nom, qui doit, bien au contraire, chercher à repousser les frontières du conformisme pour parvenir à l'expression libre et authentique. La position d'Herménégilde a donc l'apparence du paradoxe. Méfions-nous des apparences. Et quant aux paradoxes, ils n'ont rien d'illégitime quand on y songe: tout être humain n'est-il pas en perpétuelle contradiction avec lui-même? Certains avanceront qu'un Acadien ne peut représenter la reine. D'abord, l'argument n'appelle pas les foules. Ensuite, l'Acadie de la Déportation avec ses méchants Anglais et sa malheureuse Évangéline, il y a longtemps qu'Herménégilde s'en est affranchi. Quant aux excuses de la reine, la question lui passe dix pieds par-dessus la tête. Son obsession? Une Acadie d'aujourd'hui et de demain tout à fait neuve. Et d'entrée de jeu, il l'a rappelé: «Pour nous, Acadiens, le passé est souvent une source de tristesse. Nous devons nous efforcer de nous libérer nous-mêmes.» La rupture qu'il souhaite accomplir avec le passé ne vise pas à oublier les événements, mais plutôt à s'en délester. Le passé est un fardeau qui empêche le présent de pleinement se réaliser. La nomination d'Herménégilde est de facto une rupture avec le passé et un témoignage de renouveau. Le principal concerné vivra jour après jour un protocole obligé. Mais il ne s'agira pas que de boire du thé à des heures ponctuelles ou de serrer des mains en disant: «Nous sommes fiers de vous». De toute évidence, signer des décrets, ouvrir des sessions parlementaires, accueillir les hautes instances de passage, tenir des allocutions publiques au nom de sa Majesté lui incomberont. Tout à côté, la lieutenance de la reine constitue une magnifique opportunité pour promouvoir l'Acadie et les arts auprès des dignitaires de toutes origines que l'homme sera appelé à côtoyer. Herménégilde disposera alors d'un moyen de faire découvrir l'Acadie tout à fait différent de ceux qu'il a su si brillamment utiliser depuis plus de trente ans.

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