Point de vue : Des propos qui choquent

- 5 septembre 2003

Hector J. Cormier Si les propos d'Herménégilde Chiasson avant son accession au poste de lieutenant-gouverneur en ont choqué plusieurs, ils ont sûrement rassuré cette partie de l'élément anglophone qui n'en a que faire des revendications et des manifestations de fierté de la collectivité acadienne. Rien de semblable n'avait entouré la nomination de monsieur Gilbert Finn en 1987. Toutefois, les temps et les circonstances ont bien changé depuis.

Les Acadiens, plus conscients des horreurs du passé, décident de demander des excuses à la Couronne britannique. L'idée plaît à bon nombre, mais déplaît à un certain groupe dont monsieur Chiasson. Il est contre comme l'est son ami le député Dominic LeBlanc qui s'est acharné à faire battre la motion en ce sens aux Communes. Herménégilde dit dans les journaux anglophones qu'il a toujours été un fort défenseur de la modernité et, du même souffle, ajoute que l'Acadie est accablée par son passé. « Nous sommes toujours à regarder le passé, à creuser notre histoire, et cela nous a paralysés. » Faut-il conclure que la modernité, maintenant, passe par l'oubli du passé? Si oui, le concept rejoint un courant d'idées dans le monde, surtout aux États-Unis, qui veut que le passé ait peu d'importance, que l'histoire ne fasse que créer des nationalismes malsains.

L'histoire, c'est le passé des collectivités comme des individus. Sa connaissance crée plutôt des patriotismes sains, des citoyens éclairés conscients de racines profondes rattachées à des valeurs linguistiques et culturelles. De tels individus sont plus difficilement exploitables, moins manipulables. Ils dérangent. Ils gênent ces multinationales dont bon nombre tente d'imposer, dans le monde entier, des valeurs culturelles purement américaines et ce, par le truchement de la mondialisation.

Contrairement à ce que laisse entendre le discours, les Acadiens, à cause de leur passé, sont plutôt ingénieux, industrieux, créatifs, tournés vers l'avenir. Que dire des luttes et des démarches pour cette université qu'est la nôtre? Pour des institutions financières propres? Pour un système d'éducation dualiste? Pour des maisons d'édition qui encouragent la création littéraire? Pour un monde institutionnel et associatif actif? Pour une église acadienne? Pour un quotidien et des hebdomadaires de langue française? Pour une vie artistique et culturelle riche et foisonnante? Pour un réseau de radios communautaires? Pour des centres communautaires vivants? Pour une ouverture sur le monde? De quoi veut-on parler au juste? Depuis quand les Acadiens refusent-ils de regarder vers l'avenir parce qu'ils ont eu un passé qu'ils tiennent à connaître et à exprimer? Se sont-ils soudain assis sur leurs lauriers?

Quant aux excuses de la Couronne, on sait très bien que les Acadiens n'en n'ont pas eu besoin pour en arriver là où ils sont, pas plus que ces enfants qui ont réussi dans la vie malgré le fait qu'ils aient été reniés, rejetés, bafoués par des parents qui s'en souciaient peu. Cela n'enraye pas pour autant les souffrances, souvent pénibles, qui accompagnent ces déchirements. Les excuses ont quelque chose de fondamental: elles constituent la base de la réconciliation, de la validation de la souffrance. Elles sont un geste noble et profondément psychologique qui permet autant aux individus qu'aux collectivités de refaire des liens d'humanité. On les trouve parmi les grands principes de la psychologie, mais elles dérangent, elles demandent du courage.

La Couronne britannique a tout à gagner en s'excusant pour ce crime odieux que fut la Déportation, aux quatre coins du monde, d'un peuple qui vivait relativement paisiblement, qu'on a déchiré, à qui on a enlevé les moyens de survivance. S'excuser, c'est un geste noble, c'est reconnaître ses torts, c'est crier haut et fort devant le monde entier que des actes pareils ne sont pas tolérables et ne peuvent se perpétuer impunément. Pourquoi s'acharner à mettre un frein aux demandes d'excuses? Est-il plus facile de renier la réalité? Y a-t-il quelque chose de déshonorant là-dedans? En dernière analyse, n'est-ce pas à la Reine qu'il revient de décider si elle acquiesce ou non? Des excuses officielles, ce serait l'occasion de permettre que s'entame le travail de purification de la mémoire acadienne. Ce serait de permettre que s'apaisent de grandes souffrances, des rancunes tenaces pour en arriver à un monde plus fraternel. Jean-Paul II l'a fait malgré une opposition coriace des milieux ecclésiastiques et a été applaudi. Quand l'archevêque de Moncton, récemment, devant les membres des Premières Nations d'Acadie, s'est dit peu fier « d'un passé entaché de situations d'exclusion, de préjugés et de violence » entretenues à leur égard, la cathédrale de Moncton est devenue, pour un moment, l'émouvant théâtre d'une joie exubérante, un pas vers la réconciliation, vers l'accueil. Pourquoi, pour le bien de l'inconscient collectif, la chose ne serait-elle pas tout aussi bénéfique aux Acadiens? Bien évidemment, le refus d'un tel geste ne les empêchera pas d'avancer dans la modernité, ils y sont. Mais la souffrance, la peur inconsciente et collective demeurera refoulée, retenue, étouffée. Cela ne peut être que mauvais à la fois pour le psychisme collectif que pour le psychisme individuel.

Natif de Moncton, Hector J. Cormier est enseignant à la retraite et ancien secrétaire général de la Société nationale de Acadiens de 1971 à 1973.

.