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ANALYSE CRITIQUE de l'article de A. J. B. Johnston : MATHIEU DA COSTA ET LES DÉBUTS DU CANADA : POSSIBILITÉS ET PROBABILITÉS
APERÇU GÉNÉRAL
par Kenneth Breau & Fidèle Thériault
MATHIEU DA COSTA ET LES DÉBUTS DU CANADA : POSSIBILITÉS ET PROBABILTÉS est un article, publié pour le compte de Parcs Canada (s.d.). (1) De l'aveu même de l'auteur, on y trouvera beaucoup plus de spéculations que de faits historiques sur le personnage étudié. En fait, le titre de cet article peut porter à confusion. Il associe Mathieu Da Costa avec les débuts du Canada, même si l'auteur affirme qu'aucun documents prouvent qu'il a mis les pieds sur le continent Nord américain. Il aurait donc aussi pu écrire impossibilités et improbabilités.
Le texte semble avoir pour but d'apporter des arguments pour supporter la thèse qu'un noir, nommé Mathieu Da Costa (2) , aurait fait parti des premiers colons venus s'établir en Acadie au début du 17e siècle. Plusieurs affirmations sont incorrectes et peuvent même induire le lecteur en erreur. Lorsque l'on se base sur l'imaginaire, on se rapproche beaucoup plus du roman que du récit historique. Le premier paragraphe du texte est bien éloquent à ce sujet. « Il arrive parfois que ce que nous ignorons soit encore plus fascinant que ce que nous savons. L'histoire de Mathieu Da Costa et le rôle qu'il aurait joué lors des premiers voyages d'exploration au Canada en sont un exemple probant. » Il faut beaucoup d'imagination pour voyager dans l'inconnu.
AFFIRMATIONS NON FONDÉES
« Mathieu Da Costa est un Noir libre » (p. 1, 2e para.). Les documents connus ne nous disent pas qu'il était un Noir libre, et l'on pourrait tout aussi bien affirmer le contraire, c'est-à-dire qu'ils « nous permettent de penser » que Mathieu Da Costa n'était pas « un Noir libre », qu'il était sous la tutelle d'un commerçant français du nom de Nicolas de Bauquemare. L'auteur n'en discute même pas de cette possibilité ni de cette probabilité. Il affirme catégoriquement qu'il est un « Noir libre ». Les noms de Bauquemare et de Da Costa font la paire dans les documents connus et semblent être inséparables. Chaque fois que l'on retrouve le nom de Mathieu Da Costa sur un document, on trouve inévitablement celui de Nicolas de Bauquemare. Il ne peut donc pas s'agir ici d'une simple coïncidence. Curieusement, le nom de Bauquemare n'est même pas mentionné dans le travail de Johnston. Si, comme l'affirme de Bauquemare, Da Costa aurait été enlevé par les Hollandais en 1606, il est clair que la victime était Da Costa lui-même et non de Bauquemare. C'est donc Da Costa qui aurait dû poursuivre les marchands hollandais et demander justice, réparations et compensation pour les torts encourus par le soit-disant enlèvement. Les documents nous montrent bien que c'est de Bauquemare qui proteste et non Da Costa. Aussi, pendant que de Bauquemare se rend à Paris au mois de décembre 1609 pour vendre le contrat de services de Da Costa à Pierre Dugua, il le fait jeter en prison au Havre sous prétexte « d'insolences » et il donna ensuite l'autorisation à Dugua d'aller en prendre possession. Il n'est donc pas aussi libre que Johnston l'affirme. De Bauquemare ne veut certainement pas amener Da Costa avec lui à Paris, mais également il ne veut pas non plus qu'il lui échappe de nouveau. On retrouve également dans les documents les mots « pour son naigre », ce qui indique une possession. (3) Il est possible qu'un autre contrat liait Da Costa à de Bauquemare avant le 26 mai 1608.
On peut également se demander si Da Costa était vraiment un Noir. Kupp, qui a étudié cet épisode et consulté les documents hollandais et français, parle de Da Costa comme étant un mulâtre. (4) Il ne dit cependant pas sur quoi il s'appuie pour faire cette affirmation.
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« Un différent éclate entre les Français et les Hollandais au sujet de ses services (Da Costa), et finit par aboutir devant les tribunaux en France en 1609 ». (Ibid.). Ceci n'est pas démontré dans le texte et l'auteur laisse à entendre qu'il y aurait eu un différent entre Pierre Dugua et cie et les marchands hollandais au sujet de Da Costa. En fait, c'est de Bauquemare qui proteste auprès des Hollandais pour avoir amené, sans son autorisation, Da Costa dans un voyage sur l'un de leurs navires. Il y eut bel et bien une protestation des autorités françaises en 1606, mais cela était contre la piraterie des Hollandais sur deux des navires de la Cie Dugua de Mons. Les Hollandais s'étaient emparés par la force de deux ancres, de quatre canons et des pelleteries des Français à Tadoussac. Il n'est nullement question de Mathieu Da Costa dans cette protestation.
L'auteur confond également actes notariés et tribunaux. Le 11 décembre 1609, Pierre Dugua et de Bauquemare n'étaient pas devant les tribunaux, mais devant les notaires à Paris. De Bauquemare cédait alors, par acte notarié, les services de Da Costa à Dugua de Mons. On retrouve à la page 18 du texte la même erreur : « après le début des procès en 1609 ».
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« Cette affirmation se fonde sur le fait que Da Costa a signé un contrat l'engageant à travailler en qualité d'interprète pour Pierre Dugua de Mons… » La signature de Da Costa n'a pas été trouvée jusqu'à date sur aucun document et l'on ne peut donc pas affirmer qu'il savait écrire ou encore moins qu'il pouvait signer son nom. Si l'auteur se réfère au contrat du 26 mai 1608, ce document, qui est toujours introuvable, (5) ne concernait que Da Costa et de Bauqumare et non Pierre Dugua. S'il se réfère à celui du 11 décembre 1609, celui-ci est passé entre Dugua et de Bauquemare seulement. Il n'est donc pas exact d'affirmer que Da Costa a signé un contrat pour travailler pour Pierre Dugua en 1608 ou en 1609. La qualité d'interprète que l'on donne à Da Costa est fondé sur le terme « truchement » que l'on trouve dans l'arrêt du Parlement de Rouen en 1619, et n'est pas une citation du document de 1608. Aussi, le terme « truchement » pouvait également signifier à l'époque « intermédiaire ». Dire qu'il était un interprète dans le sens que l'on connaît aujourd'hui est certainement très fort. Cela pouvait également signifier qu'il pouvait se faire comprendre par gestes ou par signes et non pas nécessairement dans une langue en particulier.
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« À cette époque, Jean Ralluau.., se rend à Amsterdam pour protester contre la saisie une année auparavant, des navires marchands de Dugua par les Hollandais à Tadoussac ». (page 15) La protestation n'était pas contre la saisie des navires, puisque ceux-ci n'ont pas été saisis, mais contre le piratage des Hollandais qui enlevèrent les pelleteries, les deux ancres et quatre canons des navires de Dugua de Mons. Saisir les marchandises et les navires sont ici deux choses différentes. Les deux navires qui furent saisis lors de cette expédition par les Hollandais étaient un navire espagnol et un navire portuguais. Un peu plus bas dans le texte l'auteur ajoute : « Une des causes du litige est le détournement ou l'enlèvement de Mathieu Da Costa par les Hollandais. » Mis dans ce contexte, le lecteur est porté à en déduire que Da Costa fut enlevé par les Hollandais à bord d'un des navires de Dugua. Cependant, cela n'est pas le cas et l'auteur avaient les documents en main pour éclaircir cette affaire. Si Da Costa était à bord d'un navire en 1606, c'était à bord d'un navire hollandais et non pas d'un navire français, et s'il a été enlevé comme le prétend de Bauquemare, c'était à Amsterdam et bien sur le continent européen et non à bord d'un navire. Les documents hollandais concernant cette affaire ne mentionne pas le terme « enlèvement ». Aussi aucun document ne parle des protestations de Ralluau concernant cette histoire d'enlèvement de Da Costa.
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« Le contrat passé entre Da Costa et Dugua doit prendre effet en janvier 1609 et durer trois ans. » (page 16). Encore une fois, il n'eut pas de contrat de signer entre Dugua et Da Costa. C'est de Bauquemare qui tirait les ficelles. Le 11 décembre 1609, il vendait les services de Da Costa à Dugua, mais la durée du contrat n'est pas déterminer. Curieusement, ce contrat ne mentionne pas non plus de salaire, ni en quelle qualité il devait servir Dugua. C'est dans la référence au contrat passé entre De Bauquemare et Da Costa le 26 mai 1608, mentionné dans l'arrêt du Parlement de Rouen du 8 juillet 1619 que l'on trouve la source de cette affirmation. (6) Il faut cependant noter qu'il s'agit ici du contrat liant Da Costa à de Bauquemare et non pas à Dugua. Il est alors spécifié qu'il devait commencé « en janvier en suivant », c'est à dire en 1609, « pour trois ans sauf plus ». Ce contrat devait donc prendre fin le 31 décembre 1611. Ce n'est que le 11 décembre 1609 que Bauquemare vendit les services de Da Costa à Dugua. Il ne restait alors que deux ans au contrat original et non pas trois ans.
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Les pages deux à quinze de cet article, n'apporte aucune connaissance sur l'histoire du personnage. On navigue dans une mer de suppositions. Même si rien n'est connu de la famille de Da Costa, l'auteur parle de son grand-père, d'un oncle, d'un parent et encore d'un frère possible (p. 9). Johnston présume que Da Costa est d'origine africaine et l'associe à l'histoire des Portugais, mais n'explique pas comment il en est venu à cette conclusion. Kupp dans son étude dit plutôt qu'il « était, semble-t-il, un mulâtre des Indes occidentales », mais cette possibilité n'est pas étudié par Johnston. Kupp ne dit pas non plus sur quoi il se base pour appuyer son hypothèse.
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La conclusion de l'auteur aux pages 17 et 18 pourraient se résumer en quelques lignes en se servant des mots même de l'auteur. « L'histoire de Mathieu Da Costa n'est celle d'un seul homme, dont nous ne connaissons pas grand chose avec certitude. … Il n'est indiqué nulle part où et quand est né Da Costa, qui sont ses parents, s'il s'est jamais marié, s'il a eu des enfants, de quoi il a l'air, ni où et quand il est mort. … Il est également impossible de savoir avec précision, du moins pour le moment, où Mathieu Da Costa a pu voyager avant ou après les documents de 1607-1609. » L'auteur recommande dans sa conclusion de plus amples études pour « répondre à quelques-unes de ces questions ». Quant au lieu de résidence de Da Costa, les documents nous disent qu'il était à Amsterdam de 1606-1608 et en prison au Havre (France) en 1609. On ne sait pas ce qui est advenu de lui après cette date.
Il aurait été intéressant que l'auteur nous parle de Nicolas de Bauquemare avec lequel Mathieu Da Costa était lié par un « brevet de service ». Son nom n'est même pas mentionné dans le texte. Johnston passe également sous silence le procès qu'intenta de Bauquemare le 22 mars 1610 (7) contre Ralluau et Pierre Dugua, soit seulement un peu plus de trois mois après avoir vendu le contrat de services de Da Costa. Pour cette raison, le contrat du 11 décembre 1609 ne fut probablement jamais exécuté, ce qui signifierait que Pierre Dugua n'employa pas les services de Da Costa. Ce procès se termina par un arrêt du Parlement de Rouen le 8 juillet 1619, par lequel de Bauquemare fut condamné à payer à Ralluau la somme de milles livres plus les intérêts à partir du 22 mars 1610 jusqu'au 6 mars 1619. Dugua fut exonéré de tout blâme et mis hors procès. Ce jugement alla contre les prétentions de Bauquemare qui fut jugé coupable ou fautif dans cette affaire. La crédibilité de Bauquemare en pris donc un dur coup, et selon Kupp, ce dernier avait (ainsi que son père) la réputation de faire « des transactions commerciales louches qui les ont souvent amenés devant les tribunaux de France et de Hollande ». (8)
Associer « les débuts du Canada » avec « Mathieu Da Costa » est donc une grosse erreur dans l'interprétation des documents de l'époque. Il y a une limite à inventer des histoires pour être ou paraître « Politically Correct ».
1. Première ligne de la conclusion, page 17.
2. Aussi nommé « Matheus da Costa », « Matheus de Cost » et « Mathieu de Coste ».
3. Nouveaux documents…, p. 390.
4. Th. J. Kupp, Quelques aspects de la dissolution de la Compagnie de M. de Monts, 1607, in RHAF, vol. 24, 1970. p 362 & 365.
5. Kupp, RHAF, p. 363, note 19.
6. Nouveaux documents…, p. 390.
7. ND, p. 393.
8. Kupp, RHAF, p. 361.
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