NOTES POUR UNE ALLOCUTION PRONONCÉE PAR L'HONORABLE SHEILA COPPS MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN À L'OCCASION DE L'OUVERTURE DU FORUM DE LA MINISTRE SUR LA DIVERSITÉ ET LA CULTURE
http://www.pch.gc.ca/special/dcforum/min/1_f.cfm
Gatineau (Québec)
Le 22 avril 2003
Monsieur le sénateur Lapierre,
Sage Commanda,
Ma collègue et amie Jean Augustine a appris une bonne nouvelle voilà environ cinq jours. Elle est devenue grand-mère, et sa famille a choisi de nommer son petit-fils Matthew. Savez-vous pourquoi ce prénom est important?
Tout le monde sait qui est Samuel de Champlain et quel rôle il a joué dans l'histoire du Canada. C'est celui qui est venu explorer le Saint-Laurent, qui a fondé Québec et qui a même atteint le Lac Huron.
Mais beaucoup de gens ignorent que Samuel de Champlain était accompagné de Mathieu Da Costa, un pêcheur d'origine africaine qui était un linguiste de talent. Mathieu Da Costa était le lien vital entre Samuel de Champlain et les Autochtones qui ont accueilli et nourri Champlain et ses hommes et leur ont sauvé la vie au cours de leur premier voyage.
Et pourtant, lorsque vous étudiez l'histoire du Canada, seul Samuel de Champlain est mentionné. On ne parle guère des Autochtones qui étaient ici depuis plus de 10 000 ans et qui n'ont jamais eu l'occasion de relater leurs récits. Quant à Mathieu Da Costa, les manuels d'histoire ne le mentionnent pas du tout.
La première fois que Jean a pris son petit-fils dans ses bras, elle a souhaité ce que toutes les grands-mères et les mères souhaitent pour leurs enfants, c'est-à-dire qu'ils soient traités avec autant de respect que tous les autres enfants.
Elle veut qu'on traite l'histoire de son petit-fils de la même façon que celle du petit-fils de Champlain.
Elle veut que son petit-fils ait autant de visibilité que le descendant de l'explorateur John Smith.
Plus tôt, Jean a raconté l'histoire de ses filles. Cela m'a fait réfléchir au fait que nos grands-mères n'ont pas eu le droit de voter au Canada. Ma propre grand-mère n'a jamais eu le droit de vote.
Ma grand-mère était totalement exclue du processus démocratique. Cette invisibilité est renforcée par le fait que l'histoire de sa vie et de celle d'autres femmes de sa génération est passée sous silence. Et les femmes ne sont pas les seules à être absentes de notre paysage culturel.
Prenez les Canadiens et Canadiennes d'origine chinoise. Le mois prochain, nous célébrerons le tout premier Mois du patrimoine asiatique. Mais qu'est-ce que les Canadiens savent de la contribution des Sino-Canadiens? Pourtant, ces derniers ont contribué à édifier le Canada à la sueur de leur front. Ils sont morts pour notre pays, mais notre histoire demeure muette à leur sujet.
Au Canada, nous savons que la diversité fait notre force.
Et pourtant, en tant qu'individus, célébrons-nous et appuyons-nous suffisamment cette diversité? Voilà le sujet de notre rencontre. Je tiens à remercier le Comité directeur qui nous donne l'occasion de remettre en question nos concepts abstraits et de nous remettre en question les uns les autres, collectivement et individuellement.
Comment refléter la diversité?
Comment aborder la question de la diversité?
Comment profiter des deux prochains jours pour accorder une plus grande place à la diversité dans toutes nos initiatives?
Avant d'aller plus loin, je veux remercier Peter Homulos et tous les bénévoles du Comité directeur. Je sais qu'ils ont accompli leur travail avec passion.
Notre objectif est de s'assurer que nos histoires et nos politiques reflètent le véritable visage du Canada. Je veux que tous les Canadiens et Canadiennes puissent se retrouver dans notre musique, notre littérature et nos émissions de télévision. Je veux que tous les jeunes Canadiens et Canadiennes aient des chances égales de devenir réalisateur, chorégraphe, poète ou président de la Société Radio-Canada.
La raison d'être des films, des histoires, des livres et des chansons n'est pas d'obtenir une subvention du gouvernement mais plutôt de refléter la force de notre union, la force de l'inclusion et des liens qui nous unissent.
Bien entendu, les hauts fonctionnaires de mon ministère, dont la sous-ministre Judith Larocque, sont présents ici. Tous les dirigeants des organismes culturels fédéraux sont également ici pour vous écouter et établir des relations qui les aideront à mieux accomplir leur travail.
Avant de commencer, je tiens à souligner que nous ne sommes pas à la case départ. Depuis plusieurs années, nous suivons un processus qui vise à refléter la diversité. D'ailleurs, chaque organisme culturel du gouvernement du Canada déploie des efforts pour en tenir compte. Mais nous devons faire encore plus pour que le jeu soit équitable, et nous devons le faire ensemble.
Je pense plus particulièrement à l'artiste qui a parlé de nos investissements en matière de culture. Le budget total du ministère du Patrimoine canadien et de nos agences est d'environ 3,5 milliards de dollars. En investissant une telle somme, on peut s'attendre à ce que d'autres ministères et d'autres programmes que celui du multiculturalisme parlent de notre diversité et de ce que nous sommes.
Chaque organisme, chaque programme et chaque unité de notre ministère doit jouer son rôle pour renforcer la diversité au Canada.
Pour vous donner une idée du travail à accomplir, laissez-moi vous citer l'exemple de Rosemary Saddler, de la Société d'histoire des Noirs de l'Ontario. Sa famille est au Canada depuis plus de 250 ans. Et pourtant, on lui demande constamment : « D'où venez-vous? » À quel moment nos filles et nos fils pourront-ils enfin dire : « Nous venons d'ici »?
C'est ce que nous sommes. Nous tirons notre force de la diversité.
Je suis très heureuse que nous amorcions ce dialogue ici, dans le premier édifice au Canada conçu par un Autochtone, M. Douglas Cardinal.
En admirant ce magnifique édifice, vous remarquerez une particularité unique de son architecture et de l'esprit qu'elle évoque. Cet édifice n'a pas d'angle, que des courbes et des cercles. Ce choix architectural se veut un reflet du cercle de la vie.
Afin de créer ce cercle, nous devons édifier et partager les auditoires, éliminer les obstacles systémiques, élargir l'accès aux installations existantes et en créer de nouvelles.
Au Canada, les minorités visibles sont en voie de devenir la majorité.
Parmi les enfants qui entrent à la maternelle cette année, un sur trois est d'origine autochtone ou membre d'une minorité visible. Nous devons donner à ces enfants les moyens de raconter leurs histoires et ils doivent se retrouver dans les histoires que nous racontons.
Jean a évoqué les obstacles qui se dressent sur la voie des minorités et des femmes. Ils sont nombreux, mais nous devons les surmonter. Je sais que nous pouvons réussir, car je crois que nous en avons le pouvoir.
J'aimerais terminer en vous racontant une anecdote.
Vous savez, le tournage du film Atanarjuat a constitué un véritable projet communautaire auquel participaient tous les résidants d'Igloolik. Et laissez-moi vous dire que j'ai vécu l'un des moments les plus intenses de ma carrière à titre de ministre du Patrimoine canadien en raison de ce tournage. Au cours d'une table ronde de jeunes cinéastes à Vancouver, un cinéaste du Nunavut a expliqué que pendant toute l'année qu'avait duré le tournage du film, aucun suicide n'avait eu lieu dans le village, ce qui ne s'était jamais vu auparavant.
On a le pouvoir de changer les choses. Ce pouvoir n'appartient pas seulement au réalisateur ou au producteur mais à toute la collectivité. Les membres de cette communauté ont compris que leur histoire était appréciée à sa juste valeur. Ils ont compris qu'il ne s'agissait pas seulement d'une histoire inuite mais d'un volet important de notre patrimoine collectif.
Nous sommes tout d'abord ici pour discuter et pour écouter. Cependant, nous sommes également ici pour bâtir. Comme l'a si bien dit Atarnarjuat dans son message, chaque région et chaque communauté de ce pays a des histoires qui méritent d'être racontées. De cette manière, le petit-fils de Jean, Matthew, qui a maintenant cinq jours, pourra s'enrichir de ces histoires afin d'atteindre son plein potentiel dans un pays qui respecte véritablement la diversité.
Merci.
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