UNIVERSITÉ LAVAL - IMPACT CAMPUS
[IMPACT CAMPUS est publié par une corporation sans but lucratif constituée sous la dénomination sociale « Impact Campus, le journal des étudiants et étudiantes de l’Université Laval ».]
Actualités, 11 février 2003
Entrevue
Février: mois de l’histoire des Noirs
http://www.ulaval.ca/impact/journal1/ICHIV03/actu110203.html
Da Costa: explorateur africain du Canada?
«Aujourd’hui, on chiffre à 4000 le nombre de nègres ayant été soumis à l’esclavage au Québec, mais c’est nettement supérieur.» Paul F. Brown
Le Québec prend de plus en plus un visage multiethnique et le 21e siècle s’annonce déjà comme celui de l’ouverture sur le monde. Mais pendant qu’on accueille de plus en plus d’immigrants et qu’on cherche par tous les moyens à les intégrer à notre société, on passe le plus souvent sous silence le rôle fondateur qu’ont joué certains Africains dès les premiers balbutiements de la colonie française. Pour leur rendre hommage, la ville de Québec est sur le point de baptiser une rue au nom de Mathieu Da Costa, le premier homme noir à avoir foulé le sol canadien, quelques 40 ans avant que le premier Tremblay ne débarque en Nouvelle-France. Québécois d’origine africaine, l’historien Paul Fehmiu Brown a accepté de rencontrer Impact Campus pour témoigner de cette page oubliée de notre histoire.
Yan Turgeon
yanturgeon@hotmail.com
Impact Campus — On dit que Da Costa serait arrivé avec Champlain et peut-être même avant. Que faisait un Africain sur un navire français en Amérique du Nord?
Paul Fehmiu Brown — Quand je dis que Da Costa était l’interprète de Champlain, les gens sautent. Il me demandent: «Comment a-t-il appris la langue des sauvages?» En fait, quand les Portugais allaient en Afrique, ils enlevaient des Africains et quand ils allaient en Amérique, ils faisaient la même chose ici. Alors ce qui est arrivé, c’est que les langues autochtones d’ici et celles d’Afrique se sont mêlées au portugais et ont formé un pidgin. C’est ce qui explique le rôle ou l’importance de Da Costa pour Champlain. Parce que sans Da Costa, il n’avait aucun moyen de communiquer avec les autochtones.
I.C. — Da Costa était-il le seul Africain parmi l’équipage de Champlain?
P. F. Brown — Ma recherche s’est limitée à deux autres noirs dont un, qui portait un nom portugais, a été enterré à Port-Royal, mais l’autre portait un nom espagnol.
I.C. — Étaient-ils toujours des esclaves?
P. F. Brown — Da Costa est arrivé en Nouvelle-France comme un homme libre. Le premier esclave, Olivier Lejeune, à été amené en Nouvelle-France par les frères Kirke en 1628. Les frères Kirke étaient des navigateurs qui faisaient la navette entre les vieux continents et le Nouveau Monde. Olivier Lejeune devait avoir 14-15 ans lorsqu’ils l’ont cédé à un jésuite. Le nom qu’il porte est celui de ce jésuite.
I.C. — Alors l’esclavage était permis en Nouvelle-France?
P. F. Brown — Non. En 1628, l’esclavage était courant dans les Antilles, mais il n’était pas encore autorisé en territoire québécois. Sauf que les frères Kirke ont dit que la transaction avait été faite en mer. Alors tout le monde a fermé les yeux.
Il faut attendre 1680 pour que le Code Noir de Colbert décrète que, l’esclavage étant rentable dans les îles, il devait aussi l’être dans nos climats inhospitaliers.
I.C. — Y a-t-il eu beaucoup d’esclaves en Nouvelle-France?
P. F. Brown — Oui! Oui! Oui! Après la promulgation du Code Noir qui dit «en Amérique les esclaves nègres sont bien meuble», il y en a eu beaucoup. En Nouvelle-France, une jeune fille de 15-16 ans se vendait à peine le prix d’une vache. Il y avait même un marché d’esclaves à Québec. Aujourd’hui, on chiffre à 4000 le nombre de nègres ayant été soumis à l’esclavage au Québec, mais c’est nettement supérieur.
I.C. — Pensez-vous qu’on a essayé d’occulter cette partie de notre histoire?
P. F. Brown — Mettez-en! À partir du moment où les Britanniques ont gagné, ils ont fait venir des noirs de leurs territoires anglophones pour peupler le territoire. Alors le clergé francophone en a profité pour s’en laver les mains. Toutes les congrégations religieuses avaient des esclaves!
Revenons à la conquête. Le jour où nous avons perdu, le gouverneur intérim de la Nouvelle-France à écrit en France, au ministre de la marine, parce que c’est ce ministre qui s’occupait de toute la question de l’exploitation des nègres. Il écrit «Nous avons capitulé devant les troupes du général Amherst, mais les Anglais nous laissent notre religion et nos nègres.» C’est un texte authentique!
I.C. — Comment a-t-on fait disparaître cette page de notre histoire? Y a-t-il eu une époque où il n’y avait plus de noirs au Québec?
P. F. Brown — Aujourd’hui, il y a toute une polémique autour du fait que tous les noirs sont anglophones. Plusieurs sont devenu anglophones parce qu’à partir du moment où on a aboli l’esclavage, les maîtres n’avaient plus le droit de les garder sous leur toit. Alors ils les ont abandonnés sous la neige. Pour eux, la seule façon de s’en sortir, ça a été d’adopter la langue du nouveau maître.
I.C. — Qu’est-ce que vous pensez du mythe de l’esclave américain qui est sauvé par un brave Canadien qui lui permet de passer la frontière?
P. F. Brown — Ça a bien fait notre affaire de découvrir qu’une femme, Harriet Tubman, avait réussi à faire traverser 300 esclaves (seulement!) du Maryland au Canada. Donc, on a saisi cette histoire pour dire que nos nègres étaient arrivés des États-Unis. Ce qui n’est pas vrai.
I.C. — Arrive-t-il qu’on vous taxe de révisionniste quand vous faites remonter l’arrivée du premier noir au Canada avant même les voyages de Champlain?
P. F. Brown — Non. Les gens sont étonnés parce qu’on a tendance à penser que c’est de la fiction et que les intellectuels essaient de minimiser la chose. Mais moi, je leur dis que je ne pars pas en croisade. Juste dans la région de Québec, il y avait des mariages mixtes au 19e siècle. C’est pourquoi je suis mort de rire quand je suis dans le métro et qu’on me demande de quel pays je viens. Moi, je suis d’ici!
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