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SÉNATEUR DON OLIVER, NOUVELLE-ÉCOSSE

1ière SESSION, 35ième PARLEMENT, VOLUME 135

La Nouvelle-Écosse

Les rapports de recherche sur la communauté noire - Interpellation

http://www.sen.parl.gc.ca/doliver/Speeches/f941122.asp

Le mardi 22 novembre 1994

L'honorable Donald H. Oliver ayant donné avis le jeudi 27 octobre 1994:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur un rapport intitulé: « Role Model Program Report: Blacks in Nova Scotia », publié en 1991, et sur la suite de ce rapport publiée en août 1994 sous le titre «The Nova Scotia Black Community and Diaspora: Models of Upward Mobility».

- Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour vous entretenir d'un rapport fait à ma demande. Il a pour titre « The Nova Scotia Black Community and Diaspora: Models of Upward Mobility ».

J'ai déposé ce rapport au Sénat il y a une quinzaine de jours. C'est la suite de recherches faites, en 1991, pour le Sénat par S.P. Pachai et présentées sous le titre «Role Model Program Report: Blacks in Nova Scotia».

Honorables sénateurs, ces recherches ont pour but de répondre au besoin pressant d'informer tous les Canadiens sur l'importante contribution des Noirs à la société canadienne et de les pousser à en apprendre davantage sur ce sujet.

Une petite portion du budget de recherche alloué à mon bureau a servi à retenir les services de Santosh Pachai, universitaire noir, pour étudier la possibilité de mettre sur pied un programme de modèles de comportement pour les Noirs de la Nouvelle-Écosse et pour en jeter les bases. Bien que l'étude porte sur les Noirs de la Nouvelle-Écosse, les mécanismes sont en place pour étendre ce programme à toutes les minorités ethniques du Canada.

Pour cette étude, Pachai a inventorié les personnes-ressources pouvant participer au programme. Il a dressé une liste préliminaire de Noirs éminents et de leurs réalisations. Les partenaires du programme de modèles de comportement, qui sont issus du secteur gouvernemental, du monde de l'éducation, des affaires, des médias ainsi que de la communauté, seraient responsables de publications, d'ateliers, de conférences et de recherches dans le cadre du programme. D'après Pachai, pour transmettre le message du programme, on aurait recours à des outils tels que des émissions télévisées, des expositions, des séances de counselling professionnel et des bourses d'études.

Honorables sénateurs, il y a un besoin pressant pour ce type de recherche puisque les contributions faites par des Canadiens de race noire reçoivent relativement peu d'attention et de reconnaissance. Les jeunes Noirs doivent apprendre à être fiers de leur passé et de leurs ancêtres, et à envisager l'avenir d'une façon positive. À titre de sénateur de la Nouvelle-Écosse et de membre de la communauté noire, je me sens responsable de promouvoir cet apprentissage.

Honorables sénateurs, diverses raisons m'ont incité à ordonner ces projets de recherche. D'abord et avant tout, il y a au Canada une véritable pénurie de faits historiques publiés sur la culture et l'histoire des Noirs. Il faut informer tous les Canadiens, surtout les jeunes, de l'histoire des Noirs au Canada. Le rapport Pachai donne un aperçu de l'histoire et de la culture des Noirs en Nouvelle-Écosse; mais, il m'apparaît clairement que la recherche doit être approfondie afin que nous puissions fournir à notre système d'éducation les instruments dont il a besoin.

De grandes possibilités s'ouvrent aux jeunes et la société doit les préparer. Nous ne pouvons pas laisser toute cette tâche au système d'éducation. Trop souvent, les jeunes ne captent pas les signaux que leur envoient leurs familles, leurs camarades, les leaders de la société et leurs éducateurs, et qui devraient servir de base à leur orientation professionnelle. Comme le rapport Pachai l'indique, une méthode coopérative pour formuler et mettre en oeuvre le programme sur les modèles de comportement pourra garantir l'appui et la participation de la collectivité.

Les ouvrages fondamentaux de sociologie nous enseignent que beaucoup de nos croyances et habitudes culturelles sont acquises au cours des premières années de notre existence. En général, la famille et la collectivité exercent une influence importante pour ce qui est de préserver des coutumes traditionnelles. La politique multiculturelle du Canada, qui encourage les gens à préserver leurs traditions, fait contrepoids au « melting pot » nord-américain, lequel est susceptible d'inciter une personne à rejeter sa culture et ses traditions, surtout si celle-ci se sent contrainte de se conformer aux normes sociales de la majorité. Les collectivités aident à assurer la continuité culturelle en favorisant l'appréciation de leurs valeurs et traditions culturelles propres.

Honorables sénateurs, il existe un besoin indéniable de motiver les jeunes Noirs à poursuivre leurs études. Ce serait là un pas important vers l'indépendance économique. Tout au long des années 1950 et 1960, les Canadiens d'origine africaine ont cherché à s'instruire, à obtenir de bons emplois, à profiter des débouchés économiques et à accéder à la classe politique. Ainsi, en 1959, deux membres influents de la communauté noire, Stanley Grizzle et William White, se sont lancés en politique. Ni l'un ni l'autre ne fut élu, mais leur exemple en a inspiré d'autres. Les Canadiens d'origine noire doivent connaître ces personnes afin d'acquérir une opinion différente d'eux-mêmes.

Nos livres d'histoire ne font pas mention de la contribution des Noirs à la société, à la culture et à la politique canadiennes. Bien que les Noirs soient ici depuis le dix-septième siècle, on sait très peu de choses sur leurs réalisations et leur histoire. Il y a lieu de se demander pourquoi l'histoire des Noirs ne fait pas partie des programmes scolaires. Est-faute d'information écrite?

Mathieu DaCosta était un pêcheur noir des Açores, un homme instruit, qui a servi d'interprète à Samuel de Champlain en 1605 pour communiquer avec les Micmacs. Il se pourrait même qu'il ait foulé le sol du Nouveau Monde avant cet explorateur français. Je suis persuadé que tout le monde est au courant de la découverte de Champlain. De même, je suis persuadé que DaCosta est pour ainsi dire un inconnu.

L'étude Pachai marque le début du processus de sensibilisation à l'apport des Noirs dans l'histoire du Canada et la culture canadienne. Il est indispensable que les efforts en ce sens se poursuivent.

Le Canada attire des immigrants venant de tous les coins du monde, et nombre d'entre eux n'arrivent jamais à réaliser leur plein potentiel à cause de leur race ou de leurs circonstances économiques. Toute société qui établit une discrimination contre certaines personnes ou certains groupes de personnes a un fort prix à payer sur le plan social et économique. La première chose à faire pour favoriser l'égalité, c'est de reconnaître la contribution apportée par tous les segments de la société.

En fait, en vertu de l'alinéa 3(1)c) de la Loi sur le multiculturalisme canadien, les considérations liées à l'origine ethnique ne doivent pas nuire aux chances de quiconque de contribuer à façonner et à édifier la société canadienne. Il est grand temps de donner un sens concret à ces termes.

Les médias prennent plaisir à déformer les faits et à jeter un éclairage négatif sur les questions se rapportant aux Noirs. La presse canadienne écrite et électronique, et plus particulièrement Radio-Canada, ne manque, semble-t-il, pas une occasion de faire voir les Noirs comme des personnes sans instruction, portées à la violence et droguées, qui n'apportent aucune contribution utile à notre beau pays. Cette image constamment véhiculée par les médias attise le racisme, ce qui mine notre pays.

Vous souvenez-vous de la dernière fois que vous avez vu une personne intelligente, de race noire, participer à un débat de spécialistes sur le renouvellement du fédéralisme à l'antenne de Radio-Canada? Des Noirs capables de le faire, il y en a, mais la politique de la SRC est de cacher, systématiquement. Peut-être aurait-elle avantage à lire le rapport de recherche Pachai que j'ai déposé au Sénat.

L'ignorance entretenue par l'absence de compte rendu des réalisations de nos compatriotes noirs a perpétué les stéréotypes. Les Noirs de Nouvelle-Écosse ont récemment critiqué en ces termes le peu de cas que la presse fait d'eux:

[...] dites-moi pourquoi, quand je regarde autour de moi, je ne peux trouver aucune image positive de moi, ni de personnes d'autres cultures? Est-ce que tous les Noirs consomment de la drogue et volent? Excellons-nous tous dans le monde des sports et du spectacle? Parce que nous ne sommes jamais présentés sous un jour plus favorable, vous et moi commençons à penser qu'il n'y a que dans ces domaines que les Noirs sont actifs.

Si j'inculque à un enfant qu'il n'apprend pas vite et n'est pas très intelligent, quel genre d'enfant est-ce que cela va faire? Cet enfant sera-t-il porté à avoir une image positive de lui-même? Ou aura-t-il plutôt une piètre opinion de lui-même qui se manifestera notamment par la paresse intellectuelle?

Ces commentaires portent sur des questions auxquelles le programme Pachai de modèle de comportement chercherait à répondre. Il est temps que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes prennent conscience de l'importance de la contribution que les Noirs ont apportée dans le domaine scolaire, professionnel, des arts, de la politique et des services communautaires. Le programme proposé vise à donner un modèle à suivre, tout en favorisant l'acceptation des différences raciales.

Nous devons supprimer les obstacles que les minorités visibles doivent franchir pour obtenir un emploi. Il existe déjà beaucoup d'études qui montrent que la discrimination faite dans l'emploi pour des motifs raciaux est un problème sérieux. Les données de la Fonction publique sont décourageantes. Alors que les minorités visibles forment jusqu'à 10 p. 100 de la population du Canada, seulement 3,7 p. 100 des employés des ministères et organismes fédéraux étaient, en 1992, des membres d'une minorité visible.

Si ces données ne suffisent pas à convaincre les décideurs de la gravité de la situation, il faudrait peut-être songer à entreprendre d'autres études concluantes. Pourquoi ne faisons-nous pas preuve d'une plus grande détermination pour éliminer la discrimination raciale, alors qu'il y a va de notre intérêt à tous de le faire?

Le rapport Pachai porte sur un certain nombre de Noirs qui ont réussi dans le secteur financier et en tant qu'entrepreneurs, ce qui leur a permis d'acquérir un pouvoir économique plus fort. Il ne faut pas oublier que les minorités visibles ont un pouvoir d'achat de 76 milliards de dollars. Il s'agit là d'un pouvoir non négligeable. Selon une étude de Goldfarb, demandée par le Race Relation Advisory Council on Advertising, les minorités visibles réagissent mieux à une commercialisation intelligente qui les respecte. Ce genre de commercialisation les motive davantage. Ils veulent être inclus pour devenir acheteurs.

Nombre de Noirs réputés et de minorités visibles ont travaillé vigoureusement pour que les Noirs obtiennent le respect qu'ils méritent. Il y a un homme qui nous a rendu de grands services. Il s'agit de feu Wilson Head, qui est venu au Canada en 1959. Cet homme-là avait une vision. En 1975, il a fondé la Urban Alliance on Race Relations, qui oeuvre en faveur de la justice sociale au Canada. Il a été chargé de faire une étude sur la discrimination raciale contre les Noirs en Nouvelle-Écosse, dans le cadre de la commission d'enquête Marshall. Voici ce qu'il a dit:

Il devrait être évident qu'une société démocratique est aux prises avec un cruel dilemme si elle promet l'égalité des chances à tous, alors qu'une forte proportion de la population souffre de discrimination fondée sur la race.

Le défi du Canada consiste à trouver des moyens nouveaux et innovateurs pour faire de cet engagement une réalité.

En demandant à M. Pachai de rédiger ces rapports, j'ai voulu répondre à la demande croissante d'études sur la culture des Noirs et leur contribution à l'histoire du Canada. Ce rapport qui propose des modèles à la collectivité noire donne un aperçu des nombreuses réalisations des Noirs et de leur contribution à la Nouvelle-Écosse, au Canada et au monde entier qu'on a trop souvent passées sous silence. Comme je l'ai déjà mentionné, même si je me suis concentré sur la collectivité noire de la Nouvelle-Écosse, le modèle de recherche utilisé pour ce programme peut facilement s'adapter à d'autres régions du Canada.

Comme on tenait, dans le cadre du projet de recherche Pachai, à signaler les contributions positives des Noirs à la société canadienne, on a décrit plusieurs grandes réalisations de certains membres de la collectivité noire de la Nouvelle-Écosse. Il faut mentionner en particulier la contribution de James Robinson Johnston, le premier avocat noir de la Nouvelle-Écosse, qui croyait que la protection des intérêts des Noirs passait avant tout par l'éducation. M. Johnston a entrepris de nombreuses démarches pour arriver à ses fins. Par exemple, il a obtenu l'appui du clergé pour fonder une école satisfaisant aux besoins des Noirs.

En son honneur, l'université Dalhousie a créé la Chaire James Robinson Johnston des études canadiennes des Noirs, la toute première chaire et le premier programme universitaire consacrés à l'étude de l'optique des Noirs, de leur histoire, de leur culture et de leur contribution à la société canadienne.

L'Université Dalhousie a été choisie pour abriter la chaire Johnston principalement parce que c'est en Nouvelle-Écosse qu'on trouve la plus ancienne et la plus importante population noire de souche au Canada.

Je tiens à remercier ici les nombreux sénateurs qui ont généreusement contribué à la toute première chaire d'études des noirs du Canada. Nous avons amassé jusqu'à maintenant plus de 1,4 million de dollars et nous sommes à la recherche du premier professeur titulaire de cette chaire.

Dans l'esprit des Pères de la confédération, le Sénat devait notamment représenter les minorités. Je me suis engagé à représenter les Noirs de la Nouvelle-Écosse et, comme je l'ai dit ici le 24 janvier 1991:

[...] par ma nomination au Sénat, je crois que je peux représenter les Noirs de la Nouvelle-Écosse ainsi que les minorités visibles dans tout le pays. Comme membre des deux collectivités, je comprends la nécessité de lutter contre le racisme, où qu'il apparaisse, et d'offrir des chances égales à tous, quelle que soit la couleur de leur peau. L'égalité, l'impartialité, la justice, ce sont des notions que bien des Canadiens considèrent comme allant de soi, mais qui pour beaucoup d'autres sont des objectifs auxquels ils ne peuvent qu'aspirer. Mais ce n'est plus un rêve impossible.

Cela fait quatre ans que je suis sénateur et, au cours de ces années, j'ai fait valoir la nécessité de lutter contre le racisme auprès d'un certain nombre d'écoles, d'associations d'anciens combattants, de groupes de jeunes, de tables rondes et de colloques sur les relations interraciales et de nombreux groupes régionaux. J'ai aussi rédigé un certain nombre d'articles sur ces questions et commandé ces études.

Je crois que l'étude Pachai va grandement contribuer à mettre fin au racisme systémique. On peut voir des signes d'espoir dans la communauté internationale. Compte tenu de la suppression de l'apartheid en Afrique du Sud et des pourparlers entre Israël et l'OLP, les Canadiens peuvent certes s'élever au-dessus des conflits raciaux et religieux. Il faut accueillir un Canada nouveau fondé sur le respect des différences.

Bref, il est urgent de conscientiser la population en général aux réalités que doivent affronter les communautés noires et au patrimoine important que nous ont laissé nos ancêtres noirs ainsi que de pousser les recherches dans ces domaines.

Des voix: Bravo!

Son Honneur le Président: Si personne d'autre ne veut prendre la parole, le débat sur cette interpellation est considéré comme terminé.

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