Motion M-241 :
M. Jean-Yves Roy (Matapédia--Matane, BQ)

37e Législature, 1ère Session
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 091
Le mercredi 3 octobre 2001

LES ACADIENS

La Chambre reprend l'étude, interrompue le 27 mars, de la motion.

M. Jean-Yves Roy (Matapédia--Matane, BQ): Monsieur le Président, c'est avec fierté et plaisir que je prends la parole aujourd'hui en cette Chambre sur la motion M-241 de mon collègue de Verchères--Les-Patriotes, qui se lit comme suit:

Jean-Yves Roy

Qu'une humble adresse soit présentée à Son Excellence la priant d'intervenir auprès de Sa Majesté afin que la Couronne britannique présente des excuses officielles pour les préjudices causés en son nom au peuple acadien de 1955 à 1763.

Bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis la première heure de débat, qui avait lieu le 27 mars 2001. Après avoir dissipé les doutes quant à ses origines acadiennes, le député de Verchères--Les-Patriotes s'est rendu trois fois en Acadie pour présenter son projet au peuple acadien.

Sa première tournée, effectuée au mois de mai, s'est déroulée au Nouveau-Brunswick. La seconde, en juin, avait lieu dans le cadre de l'Assemblée générale annuelle de la Société nationale des Acadiens à l'Île-du-Prince-Édouard. Le dernier voyage avait lieu à l'occasion des festivités entourant la Fête nationale des Acadiens, au mois d'août dernier.

Lors de ces diverses tournées, mon collègue a pu établir un réseau de contacts important et ainsi élargir, à chaque visite, le nombre d'appuis au sein de la communauté acadienne.

Une des premières personnes à avoir manifesté son soutien à la motion M-241 de mon collègue est l'avocat louisianais Warren Perrin. Celui-ci mène un combat, depuis déjà plus de 10 ans, pour la reconnaissance des torts causés au peuple acadien lors de la Déportation, entre 1755 et 1763.

Étant lui-même un descendant d'exilés acadiens, Warren Perrin est un ardent défenseur des droits des francophones, aujourd'hui appelés les Cajuns, et de la culture acadienne en Louisiane. Depuis 1990, M. Perrin fait inlassablement circuler une pétition visant à obtenir des excuses de la Couronne britannique pour la déportation des Acadiens.

En plus de recevoir l'appui de centaines d'individus, d'associations et d'experts en histoire et en droit international, il a aussi reçu l'appui des législatures du Maine et de la Louisiane. Le sénateur démocrate John Breaux se propose même de saisir le Congrès américain de cette question.

Il m'apparaîtrait incongru que le Parlement canadien, où est représentée l'Acadie historique, demeure en marge de ce mouvement sur le plan législatif.

Le 2 juin 2001, la Société nationale des Acadiens s'est réunie en assemblée générale. À cette occasion, elle a modifié sa position initiale et appuyé unanimement la motion M-241. La Société nationale des Acadiens possède un rayonnement, la crédibilité et des réseaux de contacts dans les Maritimes et à travers le monde représentant la communauté acadienne des provinces de l'Atlantique et même au-delà.

Pour les membres de la Société nationale des Acadiens, cette motion est une occasion unique donnée au peuple acadien d'obtenir une reconnaissance officielle des préjudices dont leurs ancêtres ont été victimes et dont les répercussions sont encore aujourd'hui bien tangibles.

La Société nationale des Acadiens voulait tout de même, et c'est tout en son honneur, sortir du cadre parlementaire. Pour légitimer sa prise de position, elle a donc mis sur pied, le 16 août 2001, un comité consultatif dirigé par l'historien et directeur du Centre d'études acadiennes de l'Université de Moncton, M. Maurice Basque. Le comité avait comme principale mission d'étudier certaines questions historiques, législatives et sociales concernant la motion M-241.

Comme l'indique le rapport, le comité a reçu quelque 140 avis provenant d'individus, d'associations, de municipalités et d'organismes acadiens du Canada, des États-Unis et de la France. Après avoir analysé toutes les propositions, le comité consultatif a notamment formulé les deux recommandations suivantes:

Que la Société nationale des Acadiens poursuive les démarches afin que les torts historiques survenus au moment du Grand Dérangement soient officiellement reconnus par la Couronne britannique.

Que la motion soit parrainée par l'ensemble de la députation acadienne à la Chambre des communes, abstraction faite des affiliations politiques.

La troisième recommandation vise la mise en commun des forces acadiennes afin de renforcer leurs efforts de promotion et de développement pour permettre un rattrapage économique, social et culturel. Et le dernier avis est à l'effet que la Société nationale des Acadiens continue de soutenir le gouvernement canadien dans ses efforts de promotion de la diversité culturelle et de la lutte contre l'intolérance et la discrimination.

Dans un article paru le 26 septembre 2001 dans La Voix acadienne, la journaliste Annie Racine énumère certains des organismes qui appuient la démarche du député de Verchères--Les-Patriotes, et je la cite:

[...] la motion M-241 a l'appui de la Société des Acadiennes et des Acadiens du Nouveau-Brunswick, de la Société nationale des Acadiens, de l'Association des juristes francophones et de l'Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick.

Il est important de mentionner que cette dernière, l'AFMNB, représente 40 municipalités de la province du Nouveau-Brunswick et près de 100 000 Acadiens.

Un consensus autour de la motion semble vouloir se dégager de plus en plus au sein de la population acadienne, comme l'écrivait Hector J. Cormier, éditorialiste dans le Le Moniteur acadien du 27 septembre 2001, et je cite:

...] les Acadiens sont en droit d'exiger des excuses pour les torts causés à leur peuple par la Déportation. Cela mettrait un terme à un traitement qui fut exécrable, à une souffrance qui a traversé les siècles, à une peur collective qu'il faudra bien du temps à dissiper.

Les préjudices causés par un groupe de personnes peuvent avoir des répercussions sur une vie entière, et ces mêmes répercussions s'étendent sur des décennies. Il faut, un jour, que quelqu'un reconnaisse ses torts, que la blessure soit pansée pour qu'enfin, on puisse vivre au présent, en travaillant pour le futur, sans toujours se sentir obligé de regarder les douleurs du passé.

Selon l'article du journaliste Philippe Ricard de L'Acadie Nouvelle du 20 septembre 2001, «[...] les députés libéraux doivent cesser d'avoir peur des «manigances» bloquistes. Parce que si jamais la motion était défaite, l'Acadie et son peuple devraient faire face à un autre recul.» Et la plaie resterait encore bien vive.

L'ancien député de Ouest Nova, le conservateur Mark Muise, disait ceci lors d'un discours en cette Chambre, le 30 novembre 1999:

Il a fallu plusieurs siècles avant que les Acadiens se remettent de cette tragédie. Il y en a qui pensent qu'on en souffre encore. Certains historiens ne sont pas d'accord au sujet de cette expulsion. On se demande si ce fut une guerre contre les Acadiens ou une purification ethnique. Je crois que cela dépend du point de vue de l'historien en question. Néanmoins, nous ne pouvons ignorer le fait que cette tragédie ait eu lieu ni les graves conséquences résultant des actions prises par la Grande-Bretagne.

En soi, la motion ne réclame pas de compensation et n'invite pas les descendants des déportés à retourner occuper leurs terres. Elle vise simplement l'obtention d'excuses pour toutes les douleurs et les maux dont le peuple acadien a souffert.

Le député de Verchères--Les-Patriotes répète à qui veut l'entendre que, s'il est nécessaire, il fera parrainer sa motion par un député d'une autre formation politique en cette Chambre et il est même prêt à consentir à des modifications, à des amendements à la motion, conformément aux propositions du rapport de la Société nationale des Acadiens.

Mais par-dessus tout, cette motion n'est plus celle d'un seul député ou d'un parti politique, mais bien celle des Acadiens. La démarche du député de Verchères--Les-Patriotes s'inscrit dans un cadre plus large que celui de la partisannerie qui prévaut habituellement en cette Chambre, soit la préparation du 3e Congrès mondial acadien et la célébration du 400e anniversaire de la fondation de l'Acadie qui doivent avoir lieu en 2004.

Mais surtout, nous croyons que le 250e anniversaire de la Déportation des Acadiens, qui sera commémorée un peu partout dans le monde en 2005, notamment par les Acadiens de la diaspora, constituerait un moment opportun pour que de telles excuses soient faites.

Le processus parlementaire est ainsi fait qu'il reste encore beaucoup de temps avant que la Chambre se prononce définitivement sur le sort de la motion. Utilisons ce temps pour nous assurer que cette question transcende définitivement les lignes partisanes. Personne ne gagne à ce qu'elle soit défaite. Par contre, beaucoup y perdent et pas nécessairement ceux que les opposants voudraient punir en votant contre.

Quel message enverrait-on au monde si cela arrivait? Que le parlementarisme canadien est incapable de faire abstraction des origines d'une initiative pour prendre position.

Le plus important est surtout: quel message enverrait-on au peuple acadien? Que la déportation est un événement qui ne mérite pas qu'on le reconnaisse ici, au Parlement? Que cette question n'est pas assez importante pour que les élus du peuple fassent preuve d'ouverture et de maturité; qu'ils n'ont pas pu parvenir à ce type de consensus qu'on a pourtant pu observer sur une foule d'autres questions, souvent moins significatives. Dans un cas comme dans l'autre, tout le monde y perd.

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