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Motion M-382 : : Mme Carole-Marie Allard (secrétaire parlementaire de la ministre du Patrimoine canadien, Lib.)
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37e Législature, 2e Session
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 123
Le vendredi 19 septembre 2003
Les préjudices causés au peuple acadien
Mme Carole-Marie Allard (secrétaire parlementaire de la ministre du Patrimoine canadien, Lib.): Madame la Présidente, je vous remercie de me donner l'occasion de répondre au député de Verchères-Les-Patriotes qui nous présente aujourd'hui la motion 382.
Cette motion demande:
Qu'une humble Adresse soit présentée à Son Excellence, dans la foulée des démarches entreprises par la Société Nationale de l'Acadie, la priant d'intervenir auprès de Sa Majesté afin que la Couronne britannique reconnaisse officiellement les préjudices causés en son nom au peuple acadien, de 1755 à 1763.
Cette motion contient à mon humble avis une première faille majeure. Elle concerne la souveraineté du Canada. Le Canada n'est plus une colonie, et la formulation de la motion est très choquante pour quiconque connaît un tant soit peu le droit constitutionnel, et je m'explique.
Il y a eu au Canada la Déclaration Balfour en 1926, qui a consacré l'égalité des dominions entre eux et égalité également vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Ensuite 1931, le Statut de Westminster a fait du Canada un pays souverain. La reconnaissance de cette souveraineté a été parachevée lorsque, à la demande du Canada, le Parlement du Royaume-Uni a adopté la Loi de 1982 sur le Canada.
Cette loi a édicté que les lois adoptées par le Parlement britannique, après la Loi de 1982 sur le Canada, ne font pas partie du droit du Canada.
Le député de Verchères-Les-Patriotes ne comprend pas cela. La position constitutionnelle de Sa Majesté la reine Elizabeth II et de la gouverneure générale n'est pas similaire à celle de la position constitutionnelle de la reine du Royaume-Uni.
La gouverneure générale du Canada représente la Couronne du Canada et non la Couronne du Royaume-Uni. Il serait tout à fait inconvenant pour un représentant de la Couronne du chef du Canada de faire des représentations auprès d'une institution d'un autre pays, la Couronne du Royaume-Uni.
Si le gouvernement du Canada doit poser un geste, il faudrait que ce geste vienne du Cabinet fédéral. C'est ce gouvernement qui pourrait alors s'adresser au chef d'État, la reine Elizabeth II, à titre de reine du Royaume-Uni, pour lui demander de prendre les mesures jugées pertinentes.
La résolution 382 comporte donc un important vice de forme qui serait en soi suffisant pour qu'on s'y oppose. Mais il y a d'autres raisons qui touchent l'évolution de notre pays et de la communauté acadienne, des raisons qui m'incitent à ne pas accepter cette résolution.
Il est évident que la déportation des Acadiens est un chapitre des plus tristes de notre histoire. Les souffrances infligées au peuple acadien ont été très grandes. Nos historiens les reconnaissent. Tous le reconnaissent. L'ancien gouverneur général du Canada, Son Excellence Roméo Leblanc, lui-même Acadien, a déjà déclaré:
S'il y a un groupe de Canadiens qui auraient pu laisser le passé empoisonner l'avenir, ce sont les Acadiens. Au milieu du dix-huitième siècle, ils ont été arrachés de leurs foyers et déportés vers des rivages lointains.
Certains Acadiens ont pu échapper à cette déportation avec l'aide d'autochtones sympathiques, mais ils étaient des réfugiés dans leur propre pays, privés de leurs terres et de leur droit de vote et, plus tard, trois ans après la Confédération, privés de leurs écoles. Au sujet des Acadiens, les Pères de la Confédération n'avaient rien à dire. Mais les Acadiens n'ont pas abandonné la partie. Nous avons survécu.
Aussi, lors de la cérémonie où il recevait un doctorat honorifique de l'Université de Moncton en mai 1969, l'ancien premier ministre, le très honorable Pierre Elliott Trudeau a déclaré:
Il y a deux siècles, ou environ, le Nouveau-Brunswick semblait destiné à devenir une province exclusivement anglophone. Après la déportation des Acadiens, rien en effet ne permettait de prévoir qu'il put un jour en être autrement. Les Acadiens ayant été d'un seul coup éliminés [...] Ils avaient été tout simplement rayés de la carte. [...] En reconquérant votre place au soleil, vous n'avez pas permis aux anciennes querelles et aux injustices du passé de perpétuer leur fiel et leur amertume.
La ministre du Patrimoine a aussi déclaré à Grand Pré, en Nouvelle-Écosse:
Aussi troublante qu'elle soit, la Déportation a démontré le courage et la détermination d'une communauté qui voulait survivre en dépit de tout. C'est d'ailleurs ce qui fait la force et la réussite de la communauté acadienne aujourd'hui.
L'Acadie c'est un peuple. Un peuple qui bat au rythme du monde moderne. L'Acadie c'est aussi une communauté d'appartenance. Des frères et des soeurs de langues de coeur.
C'était au moment de l'annonce d'une entente de coopération entre Parc Canada, le ministère du Patrimoine canadien et la Société Promotion Grand-Pré afin d'adapter le site de Grand Pré pour l'arrivée des touristes.
Devant cet échec du passé, quelle attitude adopter? Doit-on s'attarder à la déportation et à tous ses aspects déchirants? Doit-on mesurer chaque souffrance infligée? Doit-on blâmer les responsables ou, au contraire, prendre acte de cet événement et en tirer les enseignements voulus? Aucune excuse ne saurait effacer le drame qu'a vécu le peuple acadien. Mais nous avons avantage à concentrer nos énergies sur notre présent et notre avenir.
Ce qui me dérange également, c'est non seulement le message proposé, mais aussi le messager lui-même.
Le député de Verchères-Les-Patriotes, tout bien intentionné qu'il soit, est membre d'un parti politique qui lutte pour l'indépendance du Québec. On ne peut passer sous silence le fait que son parti est en faveur d'imposer une fracture irréparable au paysage politique canadien.
Heureusement, jusqu'à présent, nous avons pu éviter pour les Acadiens ce grand dérangement qu'aurait constitué l'indépendance du Québec, la séparation du Québec du reste du Canada. Mais n'oublions jamais, lorsque nous considérons la place qu'occupe dans cette Chambre mon collègue du Bloc québécois, que son parti est voué à une cause qui n'est pas menée dans le sens de la survie de ce pays.
Ainsi, la séparation du Québec du reste du Canada souhaitée par le député de Verchères-Les-Patriotes aurait eu pour effet d'amener un drame incommensurable, qui est de couper les liens physiques des Acadiens et des autres habitants des provinces de la côte atlantique du reste du Canada. C'est un fait incontestable, et tous les Acadiens le savent.
On ne peut pas effacer cette réalité. Et même si le député de Verchères-Les-Patriotes est aujourd'hui animé de bonnes intentions parce qu'il a découvert, entre autres, que sa famille avait des racines acadiennes et qu'il se promène maintenant en Acadie, cela n'enlève rien au message. Il est le messager d'un parti qui ne croit pas à la cause des francophones hors Québec, qui ne croit pas à la cause du bilinguisme au Canada et qui n'hésiterait pas à isoler les Acadiens et les Acadiennes si cela devait lui permettre de réaliser son rêve de faire l'indépendance du Québec. Allons-nous lui permettre de pouvoir passer le reste de sa vie politique à se vanter d'avoir fait adopter cette motion?
J'invite le député à réfléchir devant son changement d'attitude envers des Canadiens français à l'extérieur du Québec et des Acadiens et Acadiennes, ce peuple qu'on aime et «qui bat au rythme moderne», pour paraphraser la ministre du Patrimoine. Je lui demande d'avoir le courage d'avouer qu'il a changé d'idée sur ce projet de séparation du Québec, et ce, pour le plus grand bien de tous les Acadiens et Acadiennes qu'il se targue aujourd'hui de vouloir aider.
Si le député de Verchères-Les-Patriotes honore les Acadiens et Acadiennes et tous les autres Canadiens français de ce grand geste de respect et affirme clairement que son parti doit renoncer à l'indépendance du Québec, alors seulement je considérerai l'option d'appuyer son geste.
Pour le moment, je trouve qu'il y a dans le geste du député de Verchères-Les-Patriotes une incohérence flagrante qui ne peut être passée sous silence, et ce, malgré toutes les qualités que je peux attribuer à sa personnalité.
J'attends donc avec impatience cette déclaration de sa part. En attendant qu'elle vienne, permettez-moi d'ajouter que nous, les Canadiens et Canadiennes, excellons dans la gestion des tensions entre différents groupes. Nous en avons fait la preuve dans le passé. C'est en misant sur un tel esprit que le Canada progressera, et non en s'attardant aux erreurs du passé.
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