Motion M-382 : Motion M-382 : M. Roger Gaudet (Berthier--Montcalm, BQ)

37e LÉGISLATURE, 3e SESSION
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 022
Le mardi 9 mars 2004

Roger Gaudet

M. Roger Gaudet (Berthier--Montcalm, BQ): Madame la Présidente, c'est avec une grande fierté que je prends la parole aujourd'hui sur la motion M-382 de mon collègue de Verchères-Les-Patriotes, qui a été amendée et qui se lit maintenant comme suit:

Qu'une humble adresse soit présentée à Son Excellence, dans la foulée des démarches entreprises par la Société Nationale de l'Acadie, la priant d'intervenir auprès de Sa Majesté, afin que la Couronne britannique reconnaisse officiellement les préjudices causés en son nom au peuple acadien, de 1755 à 1763.

Rappelons-nous d'abord l'événement historique de 1755. L'écrivain américain, William Faulkner, au XIXe siècle, affirmait que: «Le passé n'est pas mort, il n'est même pas passé.» De même, Henri Lacordaire, membre de l'Académie française, attestait que: «L'histoire est la mémoire des siècles immortalisés [...] Un homme qui n'a pas d'histoire est tout entier dans sa tombe; un peuple qui n'a pas dicté la sienne n'est pas encore né.»

Quel passé! Si le peuple acadien n'était pas né déjà, il le fut lors de l'exode douloureux où enfants, femmes et hommes ont obéi à l'ordre formel de Lawrence, qui les obligeait à quitter terres, maisons, biens pour une destination inconnue et étrangère.

N'entendons-nous pas John Winslow lire l'édit de la déportation dans une petite église du village de Grand-Pré, le 5 septembre 1755:

J'ai reçu de Son Excellence, le gouverneur Lawrence, les instructions du roi. C'est par ses ordres que vous êtes assemblés pour entendre la résolution finale de Sa Majesté concernant les habitants français de cette province de la Nouvelle-Écosse [...] Vos terres, vos maisons, votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqués au profit de la Couronne, avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos mobiliers, et que vous-mêmes, vous devez être transportés hors de cette province. Les ordres péremptoires de Sa Majesté font que tous les habitants de ces districts soient déportés.

Même si l'objectif de la Couronne britannique n'était pas d'éliminer physiquement les individus, il ne faut pas oublier que ce sont des familles entières qui ont disparu de la Terre.

Avec Antoine Bernard, professeur à l'Université de Montréal, une interrogation surgit et demeure. L'auteur affirme que:

Au centre de ce drame subsiste toujours une région sombre,une zone obscure que ne peut explorer définitivement la lunette la plus clairvoyante: la zone des responsabilités. Faut-il charger du méfait le seul Lawrence? Ou bien faut-il voir derrière lui «les instructions de Sa Majesté» évoquées par Winslow dans sa proclamation en septembre 1755? Winslow, Murray et Lawrence qui les guidaient, ont-ils menti en se servant ainsi du nom du vieux George II pour perpétrer leur infâme attentat?

De plus, on peut se demander si l'historien Robert Rumilly donne l'heure juste sur les événements, dans son volume intitulé Histoire des Acadiens, lorsqu'il affirme que, en parlant de Lawrence:

L'exécuteur de la déportation des Acadiens est donc officiellement approuvé, félicité et promu. Le gouvernement anglais endosse, s'il ne l'a formellement ordonné, le geste de ses hauts représentants en Amérique.

Dans les colonnes du quotidien Le Devoir, on peut lire l'indignation de François Baby, professeur à l'Université Laval, lorsqu'il écrit que:

[...] Monckton fit en effet, comme militaire en Acadie et dans la région de Québec, des gestes inacceptables et d'une grande cruauté qui équivalent à n'en pas douter à des crimes de génocide, à des crimes contre la paix, à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité, au sens où nous l'entendons aujourd'hui.

Le drame acadien, depuis deux siècles, fournit à la poésie une source d'inspiration, non sans retenir longuement l'attention des historiens. Qui ne se souvient pas de l'immortelle «Évangéline» de Longfellow, auteur américain du XIXe siècle? C'est un poème d'une grande beauté dont l'héroïne, Évangéline, cherchera tout au long de son existence son fiancé Gabriel, qu'elle finira enfin par retrouver au moment où ce dernier s'apprêtait à entreprendre sa traversée sur l'autre rive. Ce poème n'est-il pas une illustration concrète de ce que les Acadiennes et les Acadiens ont vécu: séparation des familles, maladies, morts, éloignement, exil, insécurité de toutes sortes, en un mot ce qui constitue le bien-être dans sa définition la plus réduite?

Certains qualifieront ce poème de romantique tandis que d'autres y verront une sincérité de coeur indéniable. Comme l'écrit Yves Cazaux dans L'Acadie, histoire des Acadiens:

Le poème de 1844 hurle la vérité de la plus douloureuse histoire qui soit, sans faiblesse, sans convention ni invention, si ce n'est celle de la réalité.

Aujourd'hui, à l'aube du 250e anniversaire de ce jour fatidique du 5 septembre 1755, une lueur d'espoir pointerait-elle dans ce ciel aussi sombre? Avec la proclamation royale du 10 décembre dernier, par laquelle on faisait du 28 juillet la Journée de commémoration du Grand Dérangement, et ce, à partir du 5 septembre 2004, on pourrait croire que oui.

Après plus de 240 ans, on reconnaît enfin officiellement, dans l'histoire canadienne, qu'une tragédie innommable a bel et bien eu lieu et que ce n'est pas qu'une invention ou de la fabulation d'un peuple en mal d'attention, comme le texte de la proclamation en fait foi, car il est écrit:

[...] que la déportation du peuple acadien, communément appelée le Grand Dérangement, s'est poursuivie jusqu'en 1763 et a eu des conséquences tragiques, plusieurs milliers d'Acadiens ayant péri par suite de maladies, lors de naufrage, dans leurs lieux de refuge, dans les camps de prisonniers de la Nouvelle-Écosse et de l'Angleterre ainsi que dans les colonies britanniques en Amérique.

C'est un pas en avant, sans contredit, et c'est un bon début, mais il reste encore du chemin à parcourir avant que toutes les Acadiennes et tous les Acadiens se sentent apaisés sur les torts dont leurs ancêtres ont été victimes entre 1755 et 1763.

Le principal problème avec cette proclamation royale, c'est que seuls les Acadiens du Canada sont formellement visés par ce geste solennel, car ce n'est malheureusement pas la Couronne britannique qui reconnaît les affronts du Grand Dérangement dans la proclamation royale, mais bien seulement la Couronne du Canada. Et qu'en est-il donc pour les Acadiennes et Acadiens ayant été déportés à travers le reste de l'Amérique et en Europe et qui y vivent toujours d'ailleurs? N'ont-ils pas droit eux aussi à une reconnaissance?

J'aimerais aussi souligner que je trouve pour le moins étrange que le gouvernement canadien reconnaisse ainsi des injustices dont il n'a absolument pas à assumer la responsabilité puisque celle-ci incombe, du moins moralement, à l'autorité au nom de laquelle ces préjudices ont été commis et qui, incidemment, existe toujours aujourd'hui, à savoir la Couronne britannique.

La question demeure donc entière. Quand le peuple acadien peut-il espérer voir le véritable offenseur, dans ce cas-ci la Couronne britannique, reconnaître officiellement les préjudices qui lui ont été causés par la déportation?

Est-ce que la Couronne britannique redonnera, après ces deux siècles, la fierté de nos origines? Tentera-t-elle de panser la blessure inscrite dans notre histoire collective acadienne? À la suite de la prise de conscience par de nombreux pays de leurs erreurs passées, les Britanniques emboîteront-ils enfin le pas?

En effet, nous remarquons actuellement, à travers le monde contemporain, un vaste mouvement de réhabilitation de la mémoire historique pour les gens et les peuples qui ont souffert. Nous n'avons qu'à penser aux Maoris, à la communauté nippo-canadienne, aux victime de l'apartheid, aux enfants de Duplessis ou aux excuses du Vatican, notamment à l'endroit du peuple juif.

Comme nous vivons dans une ère de réconciliation entre les peuples et d'excuses pour les préjudices causés au cours de l'histoire, pouvons-nous en espérer autant de la part de la Couronne britannique envers le peuple acadien, et non pas seulement de la part d'une quelconque Couronne canadienne?

La proclamation royale du 10 décembre dernier soulève une autre problématique et M. Joseph-Yvon Thériault, professeur de l'Université d'Ottawa, en faisait état dans un article publié dans Le Devoir, le 15 janvier dernier, en ces termes:

Dans quel processus mémoriel la reconnaissance canadienne de la déportation des Acadiens s'inscrit-elle? Nul doute, comme le souligne Donald J. Savoie, que la déportation des Acadiens soit un phénomène exemplaire de ce que nous appelons aujourd'hui un «nettoyage ethnique» et que son intégration dans l'imaginaire canadien puisse servir de leçon d'histoire pour que ces phénomènes ne se reproduisent plus. Toutefois, la manière dont s'est réalisée cette reconnaissance fait plutôt appel à un phénomène de banalisation.

En effet, il serait dangereux de banaliser une tragédie comme le fut la déportation de la nation acadienne entre 1755 et 1763, en essayant trop rapidement, comme ce fut le cas pour la proclamation royale, concoctée à la sauvette et en catimini par quelques membres du précédent cabinet ministériel se sentant sur la corde raide et voulant laisser à la postérité ce témoignage d'ouverture qu'ils avaient jusque-là combattu bec et ongles, pour ainsi tenter de faire croire aux Acadiennes et aux Acadiens qu'ils avaient enfin obtenu justice et que, par conséquent, tout est bien qui fini bien, alors que ce n'est certes pas tout à fait le cas.

La Couronne britannique se doit de reconnaître formellement les préjudices causés en son nom au peuple acadien. C'est pourquoi nous formulons le souhait que Sa Majesté accepte de bonne grâce l'invitation qui lui a été lancée par le gouvernement canadien de venir faire lecture de cette proclamation. Nous estimons, à cet égard, que le 250e anniversaire de la déportation des Acadiennes et Acadiens, en 2005, ou le 400e anniversaire de la fondation de l'Acadie, en 2004, seraient des moments propices à la réalisation d'un événement d'une telle portée.

La Grande-Bretagne ne peut passer encore des siècles sous silence cette terrible tragédie par laquelle la collectivité des citoyens paisibles et travailleurs de l'Acadie a subi, dans sa chair, une blessure infligée par ses propres autorités compétentes de l'époque.

Sa Majesté osera-t-elle admettre l'injustice flagrante commise envers le peuple acadien à partir de 1755? Les parlementaires ont le pouvoir, ici, de faire que le souhait des Acadiennes et Acadiens puisse enfin se réaliser. Il ne faut pas rater cette chance unique. Il faut donc voter en faveur de la motion de mon collègue de Verchères-Les-Patriotes.

En définitive, avec Bona Arsenault, nous croyons que:

Leur passé est un drame dont la survivance d'aujourd'hui est la consolation attendue depuis près de 250 ans. Est-ce suffisant?

En route vers l'Acadie en 2005!

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