Motion M-382 :
: M. Stéphane Bergeron (Verchères-Les-Patriotes, BQ)

37e Législature, 2e Session
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 123
Le vendredi 19 septembre 2003

Les préjudices causés au peuple acadien

Stéphane Bergeron

M. Stéphane Bergeron (Verchères-Les-Patriotes, BQ) propose:

Qu'une humble Adresse soit présentée à Son Excellence, dans la foulée des démarches entreprises par la Société Nationale de l'Acadie, la priant d'intervenir auprès de Sa Majesté afin que la Couronne britannique reconnaisse officiellement les préjudices causés en son nom au peuple acadien, de 1755 à 1763.

- Madame la Présidente, c'est avec un immense plaisir et une certaine dose d'optimisme que j'amorce aujourd'hui, en cette Chambre, le débat portant sur la motion M-382.

Comme vous le savez, ce n'est pas la première fois que je saisis la Chambre de cette question qui me tient à coeur, mais j'espère sincèrement que ce sera, cette fois, la dernière!

Il est possible que plusieurs se demandent pourquoi je reviens continuellement à la charge dans ce dossier. C'est tout simplement parce que la question demeure toujours non résolue. Ce n'est pas parce qu'on refuse de faire face à une réalité qui nous déplaît ou qui nous rend mal à l'aise que cette réalité s'évanouira comme par enchantement.

Le fait est qu'un débat de fond a pris naissance dans la société acadienne au sujet de son passé douloureux. J'estime, pour ma part, qu'il s'agit là d'un cheminement éminemment positif et salutaire, puisqu'il constitue la première étape vers une guérison définitive de vieilles plaies mal cicatrisées et, à terme, vers une véritable réconciliation.

La Société Nationale de l'Acadie, soutenue en cela par ses sociétés membres et affiliées, a repris à son compte la démarche visant à demander à la Couronne britannique de reconnaître officiellement les faits entourant la Déportation. Il ne s'agit donc plus de la démarche d'un ou de plusieurs individus agissant de façon isolée, mais bien celle des organisations représentatives du peuple acadien.

Il serait donc tout indiqué que la Chambre des communes le reconnaisse, puisqu'elle ne peut, en sa qualité d'institution démocratique, demeurer sourde aux mouvements qui animent notre société. Qui plus est, dans ce cas précis, il n'est pas inutile de rappeler que la Chambre dispose d'un lien institutionnel privilégié avec la Couronne. Elle pourrait donc se proposer pour servir de courroie de transmission entre la Couronne britannique et la Société Nationale de l'Acadie, qui ne dispose pas, de son côté, d'un tel lien privilégié.

On ne saurait oublier que cette tragédie est survenue en terre canadienne. Parce que c'est bien du souvenir de l'épopée à la fois tragique et grandiose de tout un peuple dont il est ici question.

La connaissance de ces faits historiques permet d'évaluer l'importance du chemin parcouru et, conséquemment, de nous émerveiller encore davantage de la vitalité contemporaine du peuple acadien.

Il nous appartient donc, à nous d'abord, de porter un regard serein sur cet épisode sombre de notre histoire. Sujets de Sa Majesté, depuis la signature du Traité d'Utrecht et l'édit de la reine Anne, les Acadiennes et Acadiens, simplement en raison de leur langue et de leur religion, ont été privés de leurs droits et libertés, spoliés de leurs biens et expulsés sans ménagement, au péril même de leur vie, et cela, en contravention flagrante des principes constitutionnels en vigueur depuis des temps immémoriaux et qui ont notamment été codifiés dans la Magna Carta, la Grande Charte.

Ce document légal, édicté par Jean Sans-Terre en 1215 puis réaffirmé par Édouard Ier, en 1297, établit un certain nombre de règles et de droits que même le roi lui-même ne peut violer.

Il s'agit d'un texte constitutionnel dont les dispositions, pour l'essentiel, sont encore en vigueur aujourd'hui. Aux articles 35, 36 et 37 de la Grande Charte de 1215, de même qu'aux articles 28 et 29 de la Grande Charte de 1297, il est stipulé que, par exemple, et je cite:

Aucun huissier ne soumettra [...] quiconque à sa loi, sur sa seule accusation non corroborée, sans produire des témoins fiables convoqués pour cette raison. Aucun homme libre ne sera saisi ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous-le roi-ne le condamnerons pas non plus à l'emprisonnement sans jugement légal de ses pairs, conformément aux lois du pays. À personne nous ne vendrons, refuserons ou retarderons le droit à la Justice.

Qui plus est, le droit britannique accordait à tout sujet le droit absolu de demeurer dans le pays. Il s'agit bien évidemment de droits qui ne furent finalement pas reconnus aux sujets de Sa Majesté qu'étaient les Acadiens. Ils n'avaient pourtant nul besoin de prêter quelque serment que ce soit pour que cette qualité de sujet de Sa Majesté, de par leur naissance, s'applique.

Quant à ceux qui avaient vu le jour avant la signature du Traité d'Utrecht, comme je l'ai déjà indiqué en cette Chambre, ils sont devenus sujets de Sa Majesté par la seule opération de la loi, ce qu'est d'ailleurs venu confirmer l'édit de la reine Anne.

Et comme il ne leur était pas possible de renoncer à leur allégeance naturelle au roi de France, de par leur naissance, ce que reconnaissait également le droit britannique, il eût été inconcevable que le roi d'Angleterre leur demande de porter les armes contre leur ancien souverain, ce dont on s'est d'ailleurs bien gardé, jusqu'à ce que Lawrence mette en oeuvre le plan de déportation concocté par Shirley, en 1746.

Je crois d'ailleurs avoir clairement démontré en cette Chambre que l'exigence de la prestation d'un serment sans condition, ne s'est avéré être qu'un vulgaire prétexte fallacieux destiné à tenter de donner une apparence de légitimité à un geste purement illégal en vertu du droit britannique.

Il est évident que l'objectif poursuivi était de disperser la population acadienne dans des communautés de langue et de culture anglaise, ainsi que de religion protestante, de telle sorte de faciliter et d'accélérer son assimilation, donc, à terme, sa disparition en tant qu'entité culturelle, religieuse et linguistique distincte.

D'aucuns ont prétendu qu'il s'agissait purement et simplement d'une tentative de génocide. Bien sûr, il n'est pas aisé de tenter de qualifier une situation survenue il y a près de 250 ans en s'appuyant sur des valeurs et des concepts juridiques modernes.

Le théoricien du concept de génocide, l'avocat Raphael Lemkin, écrivait pourtant en 1944 qu'il avait créé ce terme pour, et je cite:

[...] décrire une pratique ancienne dans un contexte contemporain.

Quoique l'objectif n'était pas d'éliminer physiquement les individus, il n'en demeure pas moins que plusieurs milliers de personnes auront trouvé la mort dans cette opération. Des familles entières ont alors complètement disparu de la surface de la Terre.

Cela dit, il ne fait aucun doute que ce type d'opération, lorsqu'on examine attentivement la définition qu'en ont donné les Nations Unies après la Seconde Guerre mondiale, s'apparente de très près aux crimes de génocide:

Les Nations Unies ont décrété, et je cite:

[...] le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel: meurtre de membres du groupe; atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; [...] transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

Cela dit, je pense que l'on peut s'entendre pour dire qu'il s'agit d'un événement très grave, qu'on ne saurait banaliser ou tenter de justifier de quelque façon que ce soit. C'est d'autant plus vrai que si on voulait emprunter une approche juridique rigoureuse, pour ne pas dire rigoriste, on devrait nécessairement conclure que les implications légales de ces événements trouvent encore un écho aujourd'hui.

En effet, la convention de 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, stipule qu'un crime de génocide, qu'il ait été commis en temps de paix comme en temps de guerre, est imprescriptible.

Par conséquent, si les Britanniques se sont effectivement livrés à un crime s'apparentant à un crime de génocide envers le peuple Acadien, d'aucuns pourraient prétendre que les personnes qui se sont rendues coupables de tels actes en sont perpétuellement responsables. En vertu du droit international actuellement en vigueur, des officiers britanniques, tels que Lawrence et Monckton, devraient être traduits en justice. Le problème, c'est que ces personnes sont aujourd'hui décédées.

En fait, elles le sont toutes, sauf une, puisque Sa Majesté ne meurt jamais. Il existe, en effet, dans le droit britannique une fiction légale, selon laquelle Sa Majesté ne peut mourir. «Le Roi est mort, vive le Roi», comme le veut l'expression consacrée.

En vertu de ce principe, Sa Majesté pourrait donc être tenue de rendre compte de la déportation, d'autant que la Magna Carta avait alors été violée.

Il est intéressant de noter ici que, depuis juin 2000, la Couronne peut, au Canada, être poursuivie pour de tels actes. En effet, la Loi concernant le génocide et les crimes contre l'humanité s'est alors ajoutée au corpus légal canadien. À l'article 3, il est stipulé que cette législation lie Sa Majesté. Par cette loi, la Couronne renonce donc à son immunité et accepte, par le fait même, d'être éventuellement tenue responsable de ce genre de crimes, et ce malgré le passage du temps, car cette procédure, on l'aura compris, est rétroactive puisque imprescriptible.

Je sais que plusieurs collègues du côté ministériel s'inquiètent du fait que le gouvernement canadien, en dernière analyse, pourrait être tenu responsable des actes commis au nom de la Couronne, au moment de la Déportation, en vertu du principe de la succession d'État et serait éventuellement tenu, par voie de conséquence, de verser des réparations aux Acadiennes et Acadiens. Je tiens tout de suite à les rassurer. Bien que certains aimeraient effectivement voir la Couronne verser des réparations aux Acadiennes et Acadiens, il importe de préciser que tel n'est pas l'objet de la présente motion.

Par ailleurs, le professeur de droit international de l'Université de Moncton, M. Kamel Khiari, qui faisait d'ailleurs partie du comité d'experts mis sur pied par la Société Nationale de l'Acadie pour se pencher sur les implications découlant de la motion M-241, a déjà émis l'opinion que dans les cas de crimes de cette nature, la responsabilité ne peut être transférée à l'État successeur et qu'elle incombe donc à perpétuité à l'État prédécesseur à moins que celui-ci ait, entre-temps, cessé d'exister légalement.

Or, non seulement le Royaume-Uni existe-t-il toujours légalement, mais il est toujours régi par le même cadre constitutionnel et a toujours théoriquement à sa tête, comme nous l'avons indiqué plus tôt, le même chef d'État. Sa Majesté se doit donc de reconnaître les torts qui ont été causés au peuple acadien au nom de la Couronne, car de telles exactions ne s'effacent pas de la mémoire collective d'une nation aussi facilement que le voudraient certains.

Dans de tels cas, un curieux phénomène psychosocial surviendrait. C'est ce que Christopher L. Blakesley aurait pour la première fois appelé la «phénoménologie de la souillure», ce qui signifie que pour un peuple ayant été victime d'exactions semblables, il est difficile de se soustraire à de perpétuelles réminiscences douloureuses de ces pénibles évènements, à moins qu'un processus d'acceptation permettant d'assumer ces mêmes évènements soit entrepris, ce qui passe souvent par une reconnaissance des torts qui incombent aux responsables de ces gestes inhumains par les responsables eux-mêmes.

Il ne s'agit pas que d'un évènement ayant eu lieu dans le passé et dont on pourrait aisément faire abstraction, contrairement à ce que d'aucuns prétendent. La Déportation, outre les effets psychosociologiques que je viens d'évoquer, a donné lieu à des incidences juridiques qui pourraient, du moins théoriquement, trouver un écho encore aujourd'hui.

L'ordre de déportation ayant entraîné le funeste «Grand Dérangement» n'aurait jamais été levé et serait donc, conséquemment, toujours en vigueur aujourd'hui. Aussi, un Acadien se rendant en Angleterre serait-il, encore aujourd'hui, susceptible d'être arrêté et déporté, puisque toujours considéré, du moins théoriquement, comme un vulgaire criminel. Il est plus que temps de remettre les pendules à l'heure et de reconnaître enfin les torts causés au peuple acadien au nom de la Couronne britannique, comme l'a déjà fait cette dernière dans le cas des Maoris et des Irlandais.

Le 16 août dernier, on apprenait la nomination d'un nouveau lieutenant-gouverneur au Nouveau-Brunswick. Il s'agit de son Excellence Herménégilde Chiasson, figure avantageusement connue des milieux artistiques acadiens.

Je profite d'ailleurs de l'occasion pour lui adresser mes plus sincères et mes plus chaleureuses félicitations pour cette nomination venue couronner, si je puis dire, une longue et déjà très fructueuse carrière.

Dans une entrevue qu'il accordait quelques jours plus tard au New Brunswick Telegraph Journal, le nouveau lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick déclarait qu'il n'entendait pas profiter de ses fonctions pour exercer des pressions auprès de la Couronne britannique en vue d'obtenir des excuses pour la déportation des Acadiens. Il ajoutait, et je cite:

J'ai toujours été un ardent défendeur de la modernité. L'Acadie est encombrée par son passé. Je crois depuis longtemps que les Acadiens sont paralysés par l'analyse permanente de leur histoire[...]. Cet évènement-que fut la Déportation-fut bien sûr tragique, mais nous ne devons pas continuer de traîner ce passé comme un boulet. [...] -Les Acadiennes et Acadiens-doivent [...] relever leurs manches plutôt que de s'apitoyer sur leur passé.

Je dois dire, et cela en surprendra probablement quelques-uns, que je suis plutôt d'accord avec lui. D'abord, personne ne lui demande de s'impliquer dans la démarche entreprise auprès de la Couronne britannique. Ensuite, il a raison de ne pas vouloir s'impliquer pour réclamer des excuses puisque personne ne demande plus officiellement à la Couronne de présenter des excuses au peuple acadien.

Finalement, il peut effectivement être malsain de toujours entretenir une nostalgie obsessionnelle gravitant autour du souvenir d'évènements tragiques et d'un éden perdu. C'est pourquoi il m'apparaît si important, pour le peuple acadien, de pouvoir assumer son passé trouble, de pouvoir définitivement tourner la page sur ce chapitre bouleversant de son histoire, sans pour autant l'oublier, de telle sorte qu'il puisse prendre pleinement pied dans le présent et se tourner résolument vers l'avenir.

Il ne faut pas craindre de tirer les leçons du passé, car l'histoire a fait de nous ce que nous sommes devenus et c'est à son examen que nous pouvons apprendre à ne pas reproduire nos erreurs et à construire un avenir meilleur.

Comme le suggère le libellé de la motion M-382 et comme je l'ai déjà indiqué, je crois sincèrement que la Chambre des communes, de par le lien institutionnel qu'elle entretient avec la Couronne britannique, se doit d'appuyer les démarches entreprises par la Société Nationale de l'Acadie.

Une simple reconnaissance serait-elle de nature à rouvrir de vieilles querelles et mettre le feu aux poudres, en Atlantique, entre les deux principales communautés linguistiques? Je n'en crois rien. Je pense bien au contraire, comme je l'indiquais plut tôt, que celle-ci permettrait de jeter les bases d'une véritable réconciliation.

Je termine sur cette citation d'Honoré Mercier, prononcée au Congrès de Baltimore le 12 novembre 1889, et je cite:

Nous [...] sommes déterminés à n'avoir d'autre guide dans nos affaires publiques que la justice. Nous croyons en elle en tout et en dépit de tout: pour elle, nous assumons les responsabilités les plus lourdes comme les conséquences les plus graves, non seulement du présent et de l'avenir, mais encore du passé; et lorsque nous constatons que dans le fait accompli, les préceptes de cette justice ont été méconnus, ses intérêts négligés, ses droits trahis, alors nous croyons qu'il faut revenir sur ses pas, retourner en arrière pour redresser les torts et payer la dette.

.