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Motion M-382 : M. Scott Reid (Lanark-Carleton, PCC)
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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION
HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 022
Le mardi 9 mars 2004
M. Scott Reid (Lanark-Carleton, PCC): Madame la Présidente, c'est à regret que je voterai contre la motion M-382. J'agis ainsi pour deux raisons.
Premièrement, j'estime que cette motion s'appuie sur un principe douteux, à savoir que la culpabilité puisse être collective et se transmettre d'une génération à l'autre.
La deuxième raison de mon opposition est que, malgré les bonnes intentions de ceux qui ont rédigé cette motion, elle semble attribuer la responsabilité ultime de l'expulsion des Acadiens à la Couronne, ce qui n'est pas une interprétation exacte des évènements de 1755. Une interprétation plus conforme à l'histoire accuserait plutôt les gouverneurs coloniaux de la Nouvelle-Angleterre et les pionniers qu'ils représentaient.
Je commencerai par l'argument historique et je reviendrai plus tard au raisonnement philosophique.
Beaucoup de faits entourant la déportation des Acadiens ne font aucun doute. En 1755, les autorités coloniales ont amorcé un processus de déracinement et de déportation de la partie de la population acadienne qui était établie sur le territoire britannique, en commençant par le centre de la colonie acadienne, le long de la côte est de la baie de Fundy.
Le gouverneur Lawrence, de la Nouvelle-Écosse, et le gouverneur Shirley, commandant en chef des forces britanniques en Nouvelle-Angleterre, ont commencé par saisir les armes à feu des colons pour les empêcher de résister par la force. Puis ils ont pris en otage un grand nombre d'hommes adultes afin de garantir la docilité de leur famille au moment de la déportation.
Au cours des années qui ont suivi, ce fut environ les trois quarts de la population acadienne totale, soit 13 000 personnes, qui ont été déportées. Certains de ces gens ont été expédiés en Angleterre, d'autres en Louisiane, tandis que d'autres encore étaient rapatriés en France.
Toutefois, si l'on connaît avec certitude l'ampleur des souffrances causées par la déportation de 1755 à 1763, il est beaucoup plus difficile d'en attribuer précisément la responsabilité historique. Chose certaine, les gouverneurs Lawrence et Shirley ont été au coeur des prises de décisions et ils doivent en porter la responsabilité ultime. Mais rien ne prouve qu'ils aient agi avec l'aval du Parlement de Westminster.
Selon la version la plus couramment acceptée de ces évènements, Lawrence aurait agi avec l'autorisation du conseil local de la Nouvelle-Écosse, tandis que le Parlement et le roi George II n'auraient pas participé à la planification des déportations.
Néanmoins, Sa Majesté la reine Elizabeth II a récemment décidé d'aborder cette question et de s'en remettre au Cabinet canadien pour décider s'il y a lieu de présenter des excuses. Comme nous le savons tous, le Cabinet s'est penché sur cette question dernièrement, et en décembre 2003, la Gouverneure générale a signé une proclamation royale à ce sujet. En voici des extraits:
Attendu que la déportation du peuple acadien, communément appelée le Grand Dérangement, s'est poursuivie jusqu'en 1763 et a eu des conséquences tragiques, plusieurs milliers d'Acadiens ayant péri [...]
Ainsi, Son Excellence la Gouverneure générale, sur recommandation de la ministre du Patrimoine canadien, a ordonné:
[...] que soit prise une proclamation désignant le 28 juillet de chaque année, à compter de 2005, comme «Journée de commémoration du Grand Dérangement».
Je félicite le gouvernement d'avoir décidé de cette proclamation qui me semble tout à fait appropriée. Je crois qu'il est légitime de s'attendre à ce que tous ceux qui participent à la vie publique d'une société civilisée adoptent une attitude exemplaire à l'égard du passé. Cette attitude suppose l'acceptation d'actes passés qui sont jugés bons et le rejet de ceux qui sont considérés injustes et monstrueux. La reconnaissance des «épreuves et souffrances subies par les Acadiens» et la désignation d'une journée annuelle pour commémorer ce triste chapitre de notre histoire, représentent une manière convenable d'en tenir compte.
Contrairement à la proclamation de la Couronne, la motion dont la Chambre est saisie demande explicitement des excuses pour cette injustice historique.
C'est un concept très différent qui repose sur l'idée que la culpabilité liée à une injustice passée puisse être transmise au sein d'une institution ou d'une collectivité, exactement comme les conséquences secondaires de cette faute continuent de se répercuter sur les descendants des victimes directes. C'est tout simplement faux.
Je n'accepte pas l'idée qu'une institution puisse préserver le sentiment d'une culpabilité collective héritée des générations successives de ceux qui sont devenus membres de cette institution ou qui sont placés sous sa protection. Un sentiment de culpabilité ou de responsabilité collective ou, pire encore, le fait de s'attendre à ce que d'autres assument la culpabilité ou la responsabilité d'actes auxquels ils n'ont pas participé, m'apparaît tout à fait futile.
Un débat comme celui que nous tenons aujourd'hui a eu lieu à la Chambre il y a 20 ans, soit le dernier jour où Pierre Trudeau occupait le poste de premier ministre. Au cours de la période des questions orales, Brian Mulroney lui avait demandé de présenter des excuses pour l'internement de Canadiens de descendance japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. La réponse de M. Trudeau révèle une compréhension subtile de la distinction que j'essaie aujourd'hui de faire valoir.
M. Trudeau avait dit, et je cite:
Je ne vois pas comment je pourrais m'excuser pour un événement historique auquel personne ici n'a pris part. Nous ne pouvons que regretter ce qui est arrivé. Mais pourquoi se lancer dans de grands discours pour dire que des excuses valent mieux que de simples regrets? Je ne comprends pas très bien [...]
Je ne pense pas que le gouvernement ait pour rôle de corriger les erreurs commises par le passé. Il ne peut pas réécrire l'histoire. Nous sommes là pour nous occuper de ce qui se passe actuellement.
Je suis d'accord avec ce raisonnement. Dans le cas du Grand Dérangement, les parties qui ont subi ces préjudices sont mortes depuis longtemps, de même que celles qui en sont responsables. L'empire britannique, au nom duquel ils ont été causés, n'existe plus, et le mercantilisme sur lequel il était fondé a été fermement et absolument rejeté par la Couronne et l'État britanniques. Toutefois, le facteur le plus important à considérer est peut-être que les colonies britanniques de la Nouvelle-Angleterre, dans l'intérêt desquels les torts ont été commis, ont cessé d'exister en tant qu'entités politiques il y a plus de deux siècles, avec l'avènement de l'indépendance des États-Unis.
Ainsi, il ne reste personne, ni même un organisme doté de la personnalité morale, qui puisse honnêtement reconnaître sa culpabilité dans cette affaire, ou subir l'indignation justifiée des autres.
Nous avons tout de même l'obligation morale de condamner des erreurs tout autant que celle de ne pas rester neutres devant les préjudices monstrueux des temps plus récents. En tant qu'acteurs moraux, nous avons le devoir de reconnaître les erreurs du passé, de les faire connaître à nos concitoyens et de faire tout en notre pouvoir pour qu'elles ne puissent se répéter sous quelque forme que ce soit. À cet égard, j'aimerais applaudir aux efforts sincères de l'honorable député de Verchères-Les-Patriotes, qui visent à perpétuer la mémoire de cet épisode tragique de notre histoire.
Néanmoins, je crois que la récente proclamation royale, qui reconnaît cette question sans présenter des excuses officielles, suffit pour exprimer nos regrets à l'égard des préjudices qui ont été commis dans le passé. Elle nous permet d'indiquer, sans condamner les autres, notre détermination à faire en sorte que des erreurs semblables ne soient plus jamais tolérées sur le sol canadien.
En conséquence, je dois voter contre cette motion et encourager mes collègues à faire de même.
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