Lettres: Acadiens, une grossière manoeuvre d'Ottawa

Jean-Marc Léger

Montréal, 11 décembre 2003

Le Devoir, édition du lundi 15 décembre 2003

Comment peut-on accepter, tolérer le grossier tour de passe-passe qui consiste, pour épargner la Couronne anglaise pourtant seule coupable, à susciter une déclaration du Gouvernement du Canada et de la "Couronne canadienne", déclaration insignifiante et lénifiante qui ne comporte rien d'autre que de constater un fait historique malheureux, le déplorer, sans la moindre allusion aux auteurs de la faute, et annoncer l'instauration d'une journée annuelle de commémoration! C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

On veut espérer que la Société nationale des Acadiens ne sera pas dupe de pareille manoeuvre qui vient ajouter au malheur du peuple acadien. De plus la formule exprime un grossier anachronisme : chacun sait que ni le Canada, ni la "Couronne canadienne" n'existaient au XVIIIe siècle et que ladite Couronne n'est à aucun titre héritière ou comptable des actions de tous ordres accomplis jadis par l'Angleterre, surtout pas des crimes comme la déportation des Acadiens dans des conditions atroces. On atteint ici le comble de l'absurdité et de l'indécence.

Cette déclaration lénifiante d'Ottawa ressortit à une tentative de récupération, à la frontière de la maladresse et de l'indignité. Le Gouvernement anglais et la Couronne anglaise n'ont aucune envie de reconnaître leurs torts, d'avouer leur crime. La question reste donc entière à la fois en ce qui a trait à l'aveu, à la reconnaissance du crime et en ce qui concerne les réparations matérielles, à l'énorme dette de Londres envers les Acadiens. On oublie souvent en effet qu'outre la déportation proprement dite, il y a eu un vol énorme, la confiscation de tous les biens des Acadiens (l'Acadie alors était la plus prospère des colonies françaises d'Amérique) dans tout ce qui est aujourd'hui la Nouvelle-Écosse : terres, maisons, bâtiments, troupeaux, équipements, etc. Transposée en termes d'aujourd'hui, cette confiscation est l'équivalent de milliards, de dizaines de milliards de dollars d'aujourd'hui, sans même inclure les intérêts. Une indemnisation même très partielle, étalée sur une ou deux décennies permettrait à la SNA, par exemple, de créer une Fondation à des fins éducatives, culturelles et sociales, pour le bénéfice de tous les Acadiens et descendants d'Acadiens dans les Maritimes , notamment au Québec et en Louisiane.

Il faut rejeter et dénoncer la manoeuvre perfide ourdie entre Ottawa et Londres

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