Canada : la reconnaissance pour les Acadiens

LEMONDE.FR | 04.12.03 | 09h12

Deux siècles et demi après la déportation massive de leurs ancêtres par la couronne britannique, les Acadiens du Canada ont enfin obtenu la reconnaissance officielle des "torts historiques" infligés à leur peuple.

Le gouvernement canadien a signé un projet de "proclamation royale" qui reconnaît les torts de la royauté britannique dans le tragique épisode du Grand Dérangement, nom donné à la déportation massive des Acadiens au milieu du XVIIIe siècle.

Le texte exact de cette proclamation, négocié pied à pied, ne sera connu que dans quelques jours, quand elle aura été signée par la gouverneure générale Adrienne Clarkson, au nom de la reine Elizabeth d'Angleterre, chef d'Etat du Canada.

Mais déjà, cette "grande victoire" est saluée par Euclide Chiasson, président de la Société nationale de l'Acadie, qui chapeaute tous les regroupements d'Acadiens, du Canada à la Louisiane ou la France.

"Pour la première fois, c'est écrit noir sur blanc, tous les faits historiques, la reconnaissance des torts et souffrances des Acadiens", a-t-il souligné.

Après moult échecs, c'est lui qui avait présenté en octobre au gouvernement un projet de "proclamation royale" dont il a négocié la version finale avec la ministre du patrimoine, Sheila Copps.

D'ores et déjà, certains font remarquer que ce n'est pas la reine, mais seulement sa représentante qui signera la proclamation, ce qui en amoindrit la portée. Faux, répond Euclide Chiasson. "En haut du document, on parle de la reine Elizabeth II", assure-t-il, soulignant qu'il est normal que le texte soit signé par la gouverneure car "le Canada est un pays souverain".

Le gouvernement d'Ottawa s'est surtout assuré que ce texte n'ouvrirait pas la voie à des demandes massives de compensations financières devant les tribunaux. "C'était une question d'honneur, pas d'argent", a approuvé M. Chiasson.

Pour que les générations futures gardent mémoire de ce drame, la proclamation fait aussi du 28 juillet le "jour de commémoration du Grand Dérangement".

Le 28 juillet 1755, le conseil de Nouvelle-Ecosse, au Canada, avait décidé de déporter tous les Acadiens de la colonie britannique en Nouvelle-Angleterre, plus au sud.

C'est l'aboutissement de quarante-deux ans de conflits, depuis qu'en 1713 la colonie française de l'Acadie, aujourd'hui partagée entre les provinces de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick, est passée sous la domination britannique.

Londres n'apprécie guère ces paysans catholiques et francophones et, sous prétexte qu'ils refusent l'allégeance inconditionnelle à la couronne, décide à partir de 1755 leur déportation massive et la confiscation de leurs biens.

Plus de 10 000 Acadiens sont embarqués de force sur les navires de Sa Majesté vers l'Angleterre ou les colonies britanniques de la côte américaine. La moitié périront durant la traversée.

Commence pour les Acadiens une longue errance qui explique leur dispersion d'aujourd'hui : certains se sont cachés sur les vastes terres canadiennes, d'autres sont retournés en France ou ont trouvé refuge en Louisiane, alors aux mains des Espagnols, où ils deviennent les Cajuns, déformation du mot "acadien".

Maintenant, les Acadiens espèrent que la reine Elizabeth II elle-même fera le déplacement jusqu'à leur fief de Grand Pré (Nouvelle-Ecosse), en 2005, pour le 250e anniversaire du Grand Dérangement.

"La reine vient au Canada en 2005 pour fêter le 100e anniversaire de la Saskatchewan et de l'Alberta", deux provinces de l'Ouest, et "j'ai déjà fait la demande de façon informelle à Buckingham Palace qu'elle soit présente dans cette période en Acadie", a dit Mme Copps.

"Ce serait un très beau geste de la couronne... cela tournerait la page", a estimé M. Chiasson.

Avec AFP

.