Éditorial : Notre histoire

Michel Doucet - 28 octobre 2002

Si vous n’avez pas encore pris connaissance du Manifeste Beaubassin, publié en page 80 de notre livraison du vendredi 25 octobre 2002, empressez-vous de le faire. Il y a certes là de quoi faire réfléchir sérieusement. La Déportation des Acadiens par les autorités britanniques, entre 1755 et 1763, n’a jamais cessé d’alimenter le débat chez nous. On n’en parle pas constamment, c’est vrai, mais il n’empêche que ce douloureux chapitre de notre histoire reste ancré dans la mémoire collective. Pacifiques de nature, les Acadiens auraient-ils occulté ce génocide, au point d’en nier la portée réelle encore aujourd’hui? N’est-il pas le temps pour le peuple acadien de «se réapproprier son histoire»? Les signataires du Manifeste Beaubassin – Marie-Claire Dugas, Charles Emmrys, Isabelle Dugas, Donatien Gaudet et Mario Toussaint – nous confrontent à de graves questions. Ne serait ce que pour cela, elles et ils méritent des félicitations. Pour la suite des choses, on verra. Il sera en effet intéressant de voir à quel point le document saura interpeller la communauté acadienne, la diaspora. Souvenons-nous des réactions suscitées par les démarches entreprises (et toujours en cours) par le député acadien Stéphane Bergeron aux Communes. Si une demande d’excuses formelles à la Couronne britannique a soulevé le tollé que l’on sait, imaginons ce que risque de provoquer un texte qui commence par: «Nous, Acadiens et Acadiennes, sommes les survivants d’un génocide.» Pourtant, n’est-il pas juste d’affirmer qu’«il est de première importance de revendiquer notre histoire dans sa totalité». Est-il exagéré d’exiger «que les responsables de la Déportation soient déclarés coupables de crime contre l’humanité»? Avec un bilan de 7500 à 9000 morts – sans compter le vol pur et simple des terres et possessions d’un peuple qui, à force de courage et d’ingéniosité, contribuait à édifier l’Amérique du Nord –, est-il illogique d’exiger réparation? S’il est légitime pour le peuple acadien d’«assumer un statut véritablement égal au sein de notre pays multiculturel et multiethnique», ne convient-il pas d’abord de faire face, de régler des choses en suspens depuis trop longtemps? Le grand mensonge historique n’a-t-il pas assez duré? En invitant les peuples anglophone et mi’kmaq à «participer à cette redécouverte de notre histoire commune», les signataires du Manifeste Beaubassin font la preuve de leur bonne foi. Il est évident que leur démarche n’a aucune intention malveillante à l’égard de qui que ce soit. Au contraire, les Canadiens sortiraient grandis d’un exercice qui les inciterait à prendre pleinement conscience les exactions passées. Auront-ils le courage de le faire? Les Acadiens adhéreront-ils à la requête? N’est-il pas le temps d’aller au-delà d’Évangéline?

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