Éditorial [L'Acadie Nouvelle] : Le grand dérangeant

Michel Doucet - 11 juillet 2001

Nous sommes à l'été 2004, au coeur des célébrations entourant le 300e anniversaire de l'Acadie. Il fait beau à Grand-Pré. La Couronne britannique présente officiellement des excuses au peuple Acadien pour les affres de la Déportation entreprise en 1775. Il y a un monde fou. La reine Elizabeth II n'en peut plus de faire des courbettes, avec son accent de grande pompe, et de vanter le courage des descendants acadiens, où qu'ils se trouvent sur la planète (en partie grâce aux ancêtres de certains de ses propres sujets, d'ailleurs). La Queen Mum a fait le voyage et en perd des bouts, mais c'est une autre histoire. Le premier ministre Jean Chrétien est à ses côtés. Il prendra la parole tout de suite après l'autre, dans les deux langues officielles en même temps, comme d'habitude. Chacun attend de voir de quelle façon il s'organisera pour récolter le crédit de ce geste sans précédent de Buckingham Palace. Les membres acadiens de la députation libérale - tiens, ils sont plus nombreux qu'à l'habitude - sont dans les places d'honneur. Les gens de la Société nationale de l'Acadie sont quelque part derrière, n'ayant toujours pas vraiment trouvé où se mettre dans cette histoire. Soit dit en passant, M. Chrétien a laissé tomber son idée de réclamer les tests d'ADN devant prouver qui est réellement un Acadien parmi les députés fédéraux. Il a même accepté des gens des autres partis. Il faut dire qu'il s'adoucit en vieillissant. Warren Perrin est là lui aussi, appuyé d'une solide délégation de la Louisiane. Et dire qu'on a failli oublier de l'inviter... Bref, après avoir rappelé encore une fois son passage en tant que député acadien, Jean Chrétien déclare que c'est grâce à lui, finalement, si la reine d'Angleterre reconnaît que quelque chose de pas très catholique s'est passé au XVIIIe siècle. Il jubile. Elle rougit. Sur le gazon de ce lieu historique, la foule trouve que la cérémonie a tendance à s'allonger. Il faut dire que les discours, toujours trop longs, ne sont guère cohérents. On y raconte que les Acadiens sont des gens tellement ouverts d'esprit qu'on a peine à croire tout ce qu'il aura fallu pour en arriver à ce solennel instant. Le député Stéphane Bergeron, du Bloc québécois, est au beau milieu de cette foule. Il n'a pas eu droit à une place avec les «officiels», pensez donc. Encore chanceux qu'on le laisse assister à la fête. Parce que si on suit le raisonnement de la ministre Claudette Bradshaw, devenue «grosse» ministre, un Acadien peut jadis avoir choisi de s'installer où il le veut sur la planète et rester un fier descendant... sauf au Québec. Devenu saparatisse en désespoir de cause, il se souvient vaguement avoir soulevé cette question de la Déportation aux Communes, un jour où lui et ses collègues du parti ne se sentaient pas particulièrement inspirés. Les discours sont finis. Que le Tintamarre commence! On finira bien par oublier. Enfin... peut-être pas. C'est le groupe Grand Dérangement qui commence son spectacle. C'est bien pour dire pareil...

Michel Doucet micheld@acadienouvelle.com