|
|
[L'ACADIE NOUVELLE] : Le joyau de Grand-Pré
|
Rino Morin Rossignol (Chroniqueur) - 15 août 2001
* * * * * Oui, madame, le hasard fait joliment bien les choses. Ma chronique hebdomadaire tombe un 15 août, Fête nationale de l'Acadie! Quasiment en plein tintamarre! Yéé! Parlant tintamarre, j'ai sorti ma vieille casserole «poquée» «pis» une grosse cuillère de bois, «pis» après-midi, si ma sciatique aiguë me donne un répit, je fais le tour du plateau Mont-Royal! Mais en attendant, je voudrais vous faire part d'une idée que j'ai eue, comme ça, l'autre jour, en regardant mes fleurs pousser. C'est peut-être une idée de fou. Peut-être est-ce une idée qui a déjà germé dans la tête de quelqu'un d'autre? Est-elle réaliste? Faisable? Je compte sur vous tous et toutes, audacieux lecteurs et lectrices du mercredi, pour me donner l'heure juste. Voici mon projet. Dans trois ans, nous célébrerons le 400e anniversaire de l'arrivée des Acadiens en Amérique. La célébration en grandes pompes de cet anniversaire fait déjà l'objet de moult préparatifs tant chez les gouvernants que chez les gouvernés concernés. À l'occasion de cet anniversaire, le troisième Congrès mondial réunira les Acadiens et les Acadiennes en Nouvelle-Écosse. Le site de Grand-Pré, célèbre pour sa symbolique, sera, on n'en doute pas, un des centres névralgiques des célébrations du 400e.
* * * * * Parallèlement aux préparatifs normaux pour des fêtes de cette envergure, il y a la croisade de l'avocat louisianais Warren Perrin visant à obtenir des excuses officielles de la Couronne britannique pour la Déportation de 1755. Cette initiative ne fait pas l'unanimité. Moi, je trouve le projet fort sympathique. La Déportation a été vécue comme un traumatisme collectif transmis, depuis, de génération en génération. Même si de nos jours, il est de bon ton de soutenir, en certains milieux, que tout cela c'est du folklore, que c'est terminé, que la page est tournée, il n'en demeure pas moins que des blessures de cette envergure, des blessures capables de transformer la conscience que les Acadiens peuvent (ou pouvaient) avoir d'eux-mêmes, ça ne se règle pas par magie à l'occasion d'un Congrès mondial ou d'un Sommet de la Francophonie à Moncton. On m'a souvent dit qu'il y avait une dignité à reconnaître ses torts et à s'excuser. La Couronne pourrait peut-être s'inspirer de ce principe dans le cas qui nous préoccupe. D'ailleurs, l'heure du temps planétaire est aux excuses. Partout, des gouvernements s'excusent auprès de peuples ou de groupes que leurs pays auraient autrefois lésés. Même l'Église multiplie les mea culpa à gauche et à droite. Donc, de ce côté rien à redire. En fait, si j'ai bien compris, ce que cherche à obtenir M. Perrin c'est de clore cette page troublante de l'histoire acadienne. Fort bien. Mais comme ce projet suscite des réactions négatives dans certains milieux, il serait peut-être préférable de viser un même résultat (soit que la tragédie de 1755 soit universellement reconnue) en abordant le problème sous un angle différent qui aurait, peut-être, l'avantage d'être mieux accueilli par tout le monde. D'être perçu comme étant plus «positif» si l'on veut. Plus mobilisateur. Et, surtout, réparateur.
* * * * * C'est pourquoi je propose que le gouvernement canadien (avec l'appui des instances provinciales concernées, de même que celui des groupes associatifs acadiens), demande officiellement à l'Unesco que le site de Grand-Pré soit dûment inscrit sur la liste du patrimoine culturel mondial. Le gouvernement canadien ne devrait pas avoir à se faire prier puisqu'il a lui-même déjà reconnu le site de Grand-Pré comme un lieu historique national «…en vertu du fait que la région a été un centre d'activité des Acadiens de 1682 jusqu'à la Déportation et que les Acadiens restent fortement attachés à cette région, qui est le coeur de leur patrie ancestrale», nous apprend une notice historique du site Internet de Parcs Canada. C'est en l'église de Grand-Pré, en effet, qu'en septembre 1755 les Acadiens apprennent que leurs biens seront confisqués au profit de Sa Majesté et qu'ils seront tous déportés sous d'autres cieux. Les critères relatifs à l'inscription de biens culturels sur la Liste du patrimoine mondial, selon le site de l'Unesco, touchent trois catégories: les monuments, les ensembles et les sites. Je crois que le site de Grand-Pré répond à certains critères, notamment les critères iii, v et vi, où il est stipulé, grosso modo, (iii) que le site doit apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle; ou (v) constituer un exemple éminent d'établissement humain ou d'occupation du territoire traditionnel représentatif d'une culture (ou de cultures), d'autant plus quand il devient vulnérable sous l'effet de mutations irréversibles; ou encore (vi) être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle. Voilà en gros mon idée. Bien sûr, ce projet ne pourra se faire seul, par magie. C'est pourquoi je vous invite tous et toutes à y penser un peu, à en parler autour de vous. Si vous estimez que ce projet a du bon, dites-le à vos leaders d'association, vos députés, écrivez-le dans le journal. Mes amis journalistes voudront peut-être de leur côté aller vérifier auprès des associations ou des gouvernements le genre de réactions que suscite cette idée. Si, comme j'ose l'espérer, elle trouve preneur, l'Acadie pourra se réjouir, en 2004, non seulement du fait qu'elle est là depuis 400 ans, malgré vents turbulents et marées houleuses, mais que cette présence est dûment célébrée par la reconnaissance d'un joyau acadien dans le patrimoine culturel mondial. Ainsi, on aura trouvé le moyen de célébrer la présence acadienne au monde d'une manière spectaculaire. Un geste d'éclat qui mettra un baume final sur la cicatrice de la Déportation en officialisant, une fois pour toutes, au monde entier, l'Acadie d'hier et d'aujourd'hui. Voilà pourquoi je dis que mon projet est «réparateur».
* * * * * Mais en attendant ce grand jour, place à la Fête du 15 août! Je vous en souhaite une belle, une bonne, une «flyée»! Et je profite de l'occasion pour remercier tous ceux et celles qui ont la gentillesse de m'envoyer des courriels suite à mes chroniques. Vous m'encouragez, ça fait du bien. Bon, là je m'en vais «shiner» ma vieille casserole pour «c't'après-midi». Bonne fête!
Rino Morin-Rossignol morinrossignol@sympatico.ca
|