Torts causés aux Acadiens lors de la Déportation de 1755 : Un dédommagement de 50 à 100 milliards $?

Philippe Ricard - 15 février 2002

MONCTON - Christian Néron, un spécialiste en droit constitutionnel, affirme que les Acadiens pourraient toucher un dédommagement de 50 à 100 milliards $ de la part de la Couronne britannique pour les torts causés lors de la Déportation de 1755.

Philippe Ricard L'Acadie NOUVELLE philipper@acadienouvelle.com

Pour M. Néron, qui appuie son argumentation sur des fondements juridiques, tout commence le 2 octobre 1710, date de capitulation de Port-Royal et début du régime militaire anglais en Nouvelle-Écosse. Selon lui, cette date est aussi le début de l'application du droit anglais en Nouvelle-Écosse. «Tous les individus qui naissaient sur le territoire de la Nouvelle-Écosse, en vertu de l'arrêt Calvin datant de 1608, étaient des sujets du roi, au même titre que les sujets qui habitaient l'Angleterre. C'est un principe de droit constitutionnel qui est important et qui n'a jamais été remis en question», explique l'avocat, en précisant qu'en 1755, 45 ans après la capitulation de Port-Royal, la majorité des Acadiens sont des sujets du roi d'Angleterre. Ce statut, dit-il, confère aux Acadiens en vertu du droit constitutionnel anglais, une certaine protection. «On ne peut pas invoquer des notions comme l'état de nécessité, l'état de guerre ou la Loi martiale pour créer des préjudices à des sujets anglais. Ça veut dire que si les Anglais avaient voulu procéder (à la Déportation) légalement, ils auraient pu le faire. Cependant, il aurait fallu qu'ils passent par le Parlement, qui aurait adopté une loi spéciale. Seul le Parlement de Westminster aurait eu le pouvoir de destituer les sujets acadiens de leurs titres de sujets du roi», mentionne M. Néron. Advenant le cas d'une destitution, le Parlement aurait dû faire une déclaration publique et formelle à l'effet que les Acadiens étaient considérés comme des «étrangers ennemis». À ce moment-là, continue M. Néron, on aurait pu obliger les Acadiens à quitter le territoire de l'empire, mais il aurait fallu leur donner un avis et le temps suffisant pour le faire. Au dire de Christian Néron, le fait que certains Acadiens aient refusé de prêter un serment d'allégeance à la Couronne britannique, ou que d'autres n'ont pas voulu prendre les armes contre les Français, ne peut aucunement justifié les événements que l'on connaît. «À partir du moment où ils naissaient comme sujets du roi, ils n'étaient pas obligés de porter un serment d'allégeance. On pouvait seulement obligé une personne à faire cela lorsqu'elle avait été sous une autre allégeance. En 1755, il ne devait pas rester beaucoup d'Acadiens qui n'étaient pas sujets du roi parce que la moyenne d'âge était à peu près de 45 ans. De plus, Les Acadiens ne voulaient pas prendre les armes pour combattre les Français ou les Amérindiens. Sauf qu'en vertu de la Common law, aucun sujet anglais n'est obligé de faire le service militaire, de prendre les armes. En 1914 et en 1939, il a d'ailleurs fallu adopter des lois spéciales pour obliger les Anglais à prendre les armes», analyse-t-il.

Les Acadiens majoritaires

Aux yeux du spécialiste en droit constitutionnel, c'est plutôt le fait que les Acadiens étaient majoritaires sur le territoire de la Nouvelle-Écosse qui aurait agacé les autorités britanniques. Surtout, affirme-t-il, qu'on s'apprêtait à convoquer l'assemblée représentative, une assemblée qui aurait été composée à 90 % d'Acadiens. «Au début de 1755, le juge Jonathan Belcher avait envoyé un rapport au Board of Trades, et demandant de ne pas prévoir la convocation de l'Assemblée représentative parce que ce n'était pas nécessaire dans la colonie. Immédiatement, le Board of Trades a répondu au juge Belcher en disant de prendre des mesures pour la convocation sur le champ de cette même assemblée. Le juge n'avait pas le choix de se conformer à cette demande», argue M. Néron. «Mais, cette demande, elle avait des répercussions importantes. Parce qu'en convoquant une assemblée représentative, le juge Belcher et les autres comprenaient que les représentants auraient été en majorité de langue française. Ils se sont aperçus qu'il y avait un risque que le gouvernement, ou une partie du gouvernement de la Nouvelle-Écosse, tomberait entre les mains de la majorité acadienne», continue-t-il. C'est donc à ce moment que certains britanniques auraient pris les moyens pour entamer l'extermination du peuple acadien, pense Christian Néron. «Dans un avis juridique, le juge Belcher invoque la nécessité impérieuse (protection de l'empire). Il dit aussi «que si on ne le fait pas maintenant, on ne pourra plus le faire». Je vois des liens avec ça (Déportation) et le besoin qu'ils avaient d'agir immédiatement. Parce que si les Acadiens avait pris le pouvoir, ils ne se seraient pas voté une loi pour se déporter eux-mêmes», fait-il remarquer.

Réparation

En 1771, un dénommé Anthony Fabrigas est expulsé de l'île Minorca, propriété des Britanniques. Lui-même sujet britannique, Fabrigas décide de poursuivre le gouverneur de l'île en question, John Mostyn. Ce dernier portera sa cause devant le Common Bench où il remporta sa cause. Le tribunal ordonna au gouvernement britannique de verser la somme de 3000 livres sterling à Fabrigas. Le gouverneur Mostyn porta sa cause en appel, mais il fut, une fois de plus, débouté devant le juge Lord Mansfield, du plus haut tribunal de Westminster. Selon M. Néron, c'est sur cette base que les Acadiens pourraient demander des excuses officielles et une réparation monétaire à la Couronne britannique pour les préjudices causés lors du Grand dérangement. L'avocat avance même qu'une somme variant entre 50 et 100 milliards $ pourrait être versée aux Acadiens à titre de dédommagement. «Belcher, le juge en chef de la Nouvelle-Écosse en 1755, recevait 500 livres Sterling par année. Fabrigas, suite au jugement, a obtenu six fois plus que le salaire du juge Belcher, soit 3000 livres Sterling. Quand je calcule 15 milliards, je prends le salaire du juge en chef de la N.-É d'aujourd'hui et je le multiplie par six. Après, multiplions ça par le nombre de victimes. C'est une base de calcul. Mais, étant donné que les dommages ont été graves, infiniment plus graves que ceux infligés à Fabrigas, je dirais qu'une réparation entre 50 et 100 milliards $ serait une somme qui aurait plus de sens», considère M. Néron. Par ailleurs, laisse-t-il savoir, il n'est pas question d'avoir recours à un tribunal international pour avoir gain de cause. Une demande en bonne et due forme au Parlement, par le biais d'un de ses membres, suffirait. Après quoi le Parlement, s'il le juge nécessaire, pourrait mettre sur pied une Commission royale d'enquête sur les événements de 1755. Finalement, explique Christian Néron, le Parlement doit ensuite se prononcer sur les conclusions de l'enquête en question.

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