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Rino Morin Rossignol - 9 octobre 2002
Rino Morin Rossignol Chroniqueur morinrossignol@sympatico.ca
La reine du Canada est en visite dans son royaume. Ça fait un peu bizarre de dire «la reine du Canada», vous trouvez pas? On est plutôt habitué à l'appeler la reine d'Angleterre et, ma foi, c'est mieux comme ça. Après tout, c'est là-bas qu'elle habite!
Profitera-t-elle de son passage à Dieppe pour présenter aux Acadiens et aux Acadiennes des excuses au sujet de la Déportation? J'en doute. Pourtant, ce serait un moment idéal pour poser un tel geste, étant donné qu'il n'y a pas de grandes célébrations dans ce temps-ci. Ça ajouterait du panache à son chapeau! Oups… à son programme. Et comme on n'en est pas aux fêtes de 2004 ou à la commémoration de 1755 l'année suivante, ce serait le temps d'en profiter pour régler ça une fois pour toutes et de manière discrète, avant que le gros party commence. Mais ce n'est probablement pas ce qui va se passer. Elle va descendre de l'avion, elle va sourire, on va lui présenter un bouquet de fleurs, elle va manger du houmard, des têtes de violon et du sirop d'érable, elle va prononcer un laïus ici et là, disant que le Nouveau-Brunswick est un modèle de cohabitation et d'harmonie, pis bye bye la visite est partie!
* * * Reste que le personnage royal, plus que la madame elle-même, suscite un intérêt évident sur son passage. À preuve, mes collègues chroniqueurs, Serge Rousselle et Janice Babineau, ont aussi parlé de la visite royale cette semaine. C'est normal, puisque le lien qui nous lie à cette reine, surtout en Acadie, est pour le moins dysfonctionnel! Une visite royale en Acadie n'a pas tout à fait la même signification qu'une visite royale en Ontario! Pour les Canadiens d'ascendance britannique, le lien est plus évident. Et plus naturel. Pour les Acadiens, elle est surtout la descendante d'un roi qui, jadis, n'a rien fait pour empêcher que ses émissaires ne jettent à la mer des milliers de personnes dont le seul crime était de se tenir debout et de vouloir rester qui elles étaient. La reine doit être parfaitement au courant de l'ambiguité de ce rapport. J'imagine même aisément que, dans la conception qu'elle a de son rôle et de sa fonction, elle met de côté ses propres vues sur la question pour accomplir une tâche qui lui est imposée par sa naissance et son sacre. Dans ce contexte, je ne m'étonne pas qu'elle fasse silence sur la Déportation. Quoique, sans aller jusqu'à des excuses en bonne et due forme, elle pourrait fort bien y faire allusion, en des termes généraux mais généreux, scellant peut-être enfin un lien authentique avec ses sujets acadiens.
* * * Quoiqu'il en soit, qu'elle offre des excuses ou non, ça me laisse plutôt indifférent. La société acadienne peut très bien continuer à se développer sans ces excuses royales. Et la maîtrise de ce développement n'a rien à voir avec la couronne britannique. Les événements de 1755 sont bel et bien terminés et ils devraient maintenant être dissous dans le maelström de l'histoire que vit l'Acadie depuis cette date fatidique. Bref, la question que l'on devrait se poser est la suivante: l'Acadie a-t-elle besoin de ces fameuses excuses? La réponse est non. Il n'y a pas d'excuses possibles pour un geste inexcusable. À moins de demander carrément pardon, en toutes lettres. Mais je vois mal madame Windsor demander pardon. Le pape le fait souvent, mais c'est sa job! Cela étant dit, l'autre question qu'on doit se poser est la suivante: avons-nous besoin d'une reine au Canada? La réponse est non. Si on est capable d'enterrer l'épisode de la Déportation sous prétexte que c'est de l'histoire ancienne, on devrait être capable de s'affranchir de ce lien monarchique sous le même prétexte. C'est de l'histoire ancienne qui n'a plus rien à voir avec l'Acadie contemporaine.
* * * Certains se sont étonnés des propos du vice-premier ministre Manley sur la monarchie. Il a bien raison de se poser des questions. De réfléchir à voix haute. D'autant plus que c'est rarissime chez nos élus. Il est temps en effet de se demander si la monarchie constitutionnelle qui sert d'assise au Canada est toujours le véhicule le plus approprié pour exprimer notre conception de la démocratie. Je suis un peu comme monsieur Manley. Je n'ai rien contre la monarchie. Même que je trouve ça ben beau les grandes cérémonies fastueuses qui rappellent live et en prime time les images de contes de fées dont j'abreuvais mon imaginaire autrefois. Mais entre trouver que c'est un bon show, d'une part, et croire, d'autre part, que ce show doit être un élément central du système politique où je tente de parvenir, à l'instar de mes concitoyens, à définir un type de société qui aspire au bien légitime bonheur de tous et toutes, me semble qu'il y a tout un abîme! Et c'est plutôt dans ce sens que doivent porter nos réflexions au moment où la reine vient jubiler chez nous.
* * * Le Canada est assez vieux maintenant pour voler de ses propres ailes. Le rapatriement de la Consitution en 1982 aurait dû servir à faire de notre pays un pays indépendant. Certes, plusieurs avanceront que le Canada est indépendant et que la monarchie est en quelque sorte un symbole hérité du passé, mais il demeure que le symbole est bien là, aujourd'hui, en chair et en os, et que tout le monde lui fait des courbettes. Il serait temps que nous élisions collectivement le chef de l'État ici. C'est ce que l'on fait aux États-Unis, ancienne colonie britannique de surcroît! Ça n'empêche pas la reine d'y aller, à l'occasion, notamment pour rencontrer des gens qui partagent sa passion pour les chevaux! Quand nous pourrons élire notre chef d'État, nous n'aurons plus besoin de quêter des excuses inutiles à des personnages symboliques, aussi jubilants soient-ils. Pis la reine pourra venir se promener à cheval. On a rien contre le tourisme, han, Madame?
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