Éditorial : 2004: Un sapin pour l'Acadie

Robert Pichette (Collaboration spéciale) - 13 août 2003

Robert Pichette

dauphin@nbnet.nb.ca

Les vaisseaux de Pierre Dugua de Mons mirent moins de temps à aborder à l'Île-Sainte-Croix, le 26 juin 1604, que n'en prennent Patrimoine Canada et l'APECA pour approuver, à l'aube de 2004, les diverses demandes de subventions en vue du 400e anniversaire de l'Acadie et, par conséquent, du Canada. C'est précisément là où le bât blesse car, pour le gouvernement fédéral, l'établissement du sieur de Mons sert uniquement de prétexte pour marquer le point de départ de l'histoire moderne du Canada. L'Acadie est totalement absente de la pensée fédérale, noyée dans l'intitulé de Initiative Canada-France 2004: 400 ans de dialogue et de découvertes, citoyenneté, diversité et démocratie, que le gouvernement fédéral financera en France à hauteur de 18,8 millions de dollars échelonnés sur trois années. Afin que nul n'ignore le principe qui sous-tend cette initiative, louable en soi, le document d'information officiel précise qu'il s'agit d'un programme visant «à commémorer le cycle des anniversaires historiques de 2004 à 2008 dans un esprit de citoyenneté ouverte.» Une «citoyenneté ouverte» n'est qu'un minable cliché sorti des cervelles inventives des plumitifs d'Ottawa qui ont aussi rédigé la rationalisation de ce pactole. Ce sera «une occasion exceptionnelle de célébrer de part et d'autre de l'Atlantique le développement et la modernité du Canada et de voir comment le territoire, l'environnement, le peuplement, la dualité linguistique français-anglais et la diversité culturelle ont influencé son évolution sur les plans social, culturel, économique et politique.» Voilà! nous sommes fixés; ce sera un exercice de propagande fédéral monté, orchestré et dirigé par d'obscurs fonctionnaires fédéraux dont de nombreuses expériences antérieures nous ont fait connaître la suffisance, et dont on peut facilement deviner la province d'origine. Bref, l'Acadie, une fois de plus, s'est fait passer le proverbial sapin. Il y a pourtant à Ottawa deux ministres fédéraux Acadiens responsables des politiques gouvernementales dans leurs provinces respectives, soient Madame Claudette Bradshaw, née Arseneault, pour le Nouveau-Brunswick, et M. Robert Thibault, pour la Nouvelle-Écosse. Ces deux-là font la paire; ils ont des explications à fournir, sinon des comptes à rendre. L'ignorance abyssale de ces deux ministres décontenance. Ne savent-ils pas que l'Acadie n'est pas, n'a jamais été et ne veut pas être un détail de l'histoire du Canada ou du Québec, et encore moins servir de prétexte à une offensive de propagande de la diversité culturelle canadienne, si réussie soit-elle? La spécificité acadienne existe. On ne parle que de cela depuis la première Convention nationale. À part 1755 et son cortège de malheurs, notre identité collective est entièrement basée sur le fait que l'Acadie est l'héritière du premier établissement permanent de la France en Amérique du Nord. C'est un point d'honneur, si ce mot a encore un sens, qui nous définit, et voilà que l'Acadie est banalisée avec la complicité, disons charitablement involontaire, de deux ministres acadiens. À Fredericton, le silence est assourdissant, à croire que 2004 n'est pas même un souci mineur du gouvernement. Quant à la Société Nationale de l'Acadie (SNA), coordonnatrice des manifestations, elle coordonne quoi exactement? S'étant embourbée dans les sables mouvants des «excuses» de la reine dans lesquels elle dépense des énergies qui pourraient être plus utiles ailleurs, la SNA fait la preuve de l'indigence de son leadership. Mais peut-être avons-nous tout faux car pourquoi célébrer ce qui fut, au bout du compte, un échec patent? Port-Royal, en 1605, fut un demi-succès. Attendons 2008 pour assister au délire néonationaliste québécois qui marquera la fondation de la Nouvelle-France. Aux Acadiens les miettes! Pauvre Acadie, trahie par l'incompétence, l'incurie, l'ineptie et la niaiserie des siens!Ó

.