Tintamarre : Lire les œuvres d'un lieutenant-gouverneur!

- 30 août 2003

David Lonergan Chroniqueur

La nomination d'Herménégilde Chiasson comme lieutenant-gouverneur suscite de nombreux commentaires, pour ou contre, jamais neutre. Tout d'un coup, ce poste qui paraissait effacé, voire inutile, éveille la curiosité des citoyens: on s'interroge sur son rôle au sein de notre monarchie constitutionnelle d'autant plus qu'on ne sait pas trop à quoi il sert, on en profite pour condamner la monarchie, on rappelle ou non que la dite monarchie nous doit des excuses, on loue la nomination d'un artiste, on dérive sur la nécessité de la contestation et sur l'à-plat-ventrisme qu'impliquerait l'acceptation d'un tel poste... Toute cette controverse a l'immense avantage de placer au cœur de l'actualité politique et ce poste et, compte tenu du fait qu'il existe, ce que l'on peut en faire. Après tout, nous sommes une démocratie et nous avons collectivement choisi de demeurer une monarchie du moins jusqu'à nouvel ordre... Curieusement, personne n'a manifesté de réticences lors de la nomination de Viola Léger au Sénat, pourtant une autre institution fortement contestée et contestable de notre monarchie constitutionnelle. Peut-être doit-on la «vigueur» des réactions non seulement au poste, mais au «personnage public» qu'est Chiasson... Que je sois républicain ne change rien à la situation de la même façon que je n'ai pas voté pour les partis actuellement au pouvoir, tant fédéral que provincial. Là est la grandeur de la démocratie: ces gouvernements me représentent et, comme citoyen, j'accepte les règles du jeu. Alors, tout en espérant un profond changement constitutionnel, j'ai le choix de m'isoler ou de participer: je choisis la participation au sein des institutions que nous nous sommes donnée. En ce sens, la nomination de Chiasson ne peut qu'être bénéfique. Maintenant que nous avons un artiste comme chef symbolique de l'État provincial (car c'est ce qu'il est en tant que représentant de la Reine), pourquoi ne pas chercher à mieux connaître son œuvre? Elle est immense, cette œuvre, parfois difficile d'accès, parfois beaucoup plus facile. Peut-être est-ce Brunante (XYZ, 2000), un recueil de récits, qui permet de découvrir le plus aisément et la personne qu'est «Hermé» et son approche de l'art. Dans une série de courts textes, il revient sur sa vie, traçant de touchants portraits de son enfance, exprimant en toute simplicité, parfois avec humour, sa découverte de l'art et de la littérature. D'autres textes nous permettent de le suivre lors de ses études et de divers voyages qui, tous, l'amènent à réfléchir sur son identité et sa pratique de l'art. Évidemment, Laurie ou la vie de galerie (Éditions de la Grande Marée, 2002), cette comédie «subversive» mérite une lecture attentive: Chiasson s'amuse à prendre le contre-pied des reproches qu'une certaine juge et, malheureusement, d'autres adressent à ces Acadiens soi-disant paresseux. Le texte résiste bien à la lecture et on peut alors en goûter tout l'humour en même temps que la finesse de la satire. Toujours en théâtre, L'exil d'Alexa (Éditions Perce-Neige, 1994) et Aliénor (Éditions d'Acadie, 1998) sont des œuvres plus exigeantes sans être difficiles. Chiasson y expose sa vision de l'Acadie, pointant dans la première la difficulté de s'accepter soi-même et dans la seconde la nécessité de se réconcilier avec ce passé mythifié fondé sur la tragédie de la Déportation qui, à la limite, peut empêcher l'être de vivre au présent et de tendre vers l'avenir. Avec le théâtre, la poésie demeure le genre que Chiasson a le plus pratiqué. Si Conversations (Éditions d'Acadie, 1998) s'est mérité le prix du gouverneur général, l'œuvre demeure ardue non par la difficulté de la comprendre, mais par le caractère répétitif de la forme. Cet enchaînement de 999 très courts paragraphes en prose, chacun reprenant l'essence d'une conversation, tient presque du livre d'Heures que l'on lit par petites bribes pour mieux en goûter la richesse et la portée. Climats (Éditions d'Acadie, 1996) est le recueil le plus diversifié formellement de Chiasson: textes en prose, poèmes en vers libres ou rimés, utilisation légèrement impertinente de la forme fixe qu'est le sonnet et, en même temps, regard sur l'évolution de sa pensée puisque les textes vont de 1969 à 1995. Il faut lire Mourir à Scoudouc, le premier recueil de Chiasson, publié à l'origine en 1974 et réédité cette année par les Éditions Interligne dans la collection BCF (Bibliothèque canadienne-française) avec le deuxième recueil, Rapport sur l'état de mes illusions (1976) sous le titre Émergences. On y retrouve le merveilleux poème qu'est Eugénie Melanson et bien d'autres textes qui demeurent, hier comme aujourd'hui, d'une grande beauté. Il y a aussi l'artiste (et sa production est immense) et l'illustrateur à qui l'on doit en particulier les dessins aux couleurs vives qui animent le beau conte Le tapis de Grand-Pré de Réjean Aucoin et Jean-Claude Tremblay, publié en 1986 et réédité récemment par les Éditions de la Francophonie. Il y a enfin le cinéaste qu'il faut savoir redécouvrir. Personnel dans Toutes les photos finissent par se ressembler (1985), vibrant dans Le Grand Jack (1987), admirateur dans Robichaud (1989), critique dans Beauséjour (1992), philosophe dans Épopée (1996), observateur dans Photographies (1999), militant dans Ceux qui attendent (2002). Toutes des productions de l'ONF, souvent avec les Productions Phare-Est. Depuis ses débuts, Hermé demeure fidèle à une démarche qu'il a résumée ainsi dans Brunante: «Je demeure persuadé que le fait d'être un artiste n'a rien à voir avec l'idée de plaire, mais se calibre plutôt sur l'expression d'une rigueur interne indépendante du succès, de la complaisance ou de la renommée (p. 18).» Et je suis persuadé que sa nouvelle mission sera placée sous le signe de l'art et qu'il saura, là comme ailleurs, demeurer fidèle à lui-même.

.