Hermé, prise trois

- 30 août 2003

Rino Morin Rossignol Chroniqueur morinrossignol@sympatico.ca

Je me suis peut-être mal exprimé dans ma chronique du 20 août, celle où devenu cardinal j'allais prendre le thé chez Son Excellence, le nouveau lieutenant- gouverneur. D'ailleurs, on m'a informé que c'est pas Son Excellence qu'il faut dire. Zut! Bref, je reviens sur ma chronique au sujet de la nomination d'Herménégilde Chiasson à ce poste honorifique, car, bizarrement, j'ai l'impression qu'elle a été aussi bien reçue par ceux qui approuvent son geste que par ceux qui le désapprouvent! Si j'en suis rendu à faire l'unanimité, je demande ma démission!

*** Selon un ami, ma chronique ferait dans «l'épichie». (Prononcez épi-KI, de grâce!) Ce n'est pas un mot qu'on retrouve dans les dictionnaires usuels, je sais. C'est une notion reliée à la religion, demandez à votre curé de vous expliquer ça. Mais en gros, ça veut dire que l'ambiguïté de mes propos fait en sorte que tout le monde comprend ce qu'il veut bien comprendre. Donc, je m'explique. Mieux, je l'espère.

*** Je n'ai jamais douté de l'engagement personnel et artistique d'Herménégilde dans la défense et la promotion des intérêts de l'Acadie. Je n'ai aucune raison de chercher aujourd'hui dans son parcours politique et poétique des failles que je n'aurais pas vues auparavant, et qui auraient été susceptibles de me le montrer sous un autre jour. Certes, il défend, c'est son droit, une vision de l'Acadie contemporaine qui fait plus état de la modernité et de l'avenir que des doléances liées à la grande tragédie que fut la Déportation. Par contre, certains Acadiens, beaucoup même, et non les moindres, tout en affirmant la modernité et le pluralisme de l'Acadie, tirent de l'histoire acadienne des conclusions différentes sur la position que les Acadiens doivent ou devraient adopter, individuellement et collectivement par rapport à cette histoire. C'est tout aussi légitime.

*** Pour ceux et celles qui exigent une reconnaissance officielle des torts causés aux Acadiens lors de la Déportation, il est bien évident que l'appui d'Hermé aurait été à leurs yeux un appui important. Le fait qu'il opte plutôt, au même moment, pour être le représentant de la reine au Nouveau-Brunswick (et non le représentant de l'Acadie auprès de la reine, ne l'oublions pas), représente un coup dur. D'autant plus qu'à mesure qu'approche la date fatidique de 2005, l'émotion collective risque de prendre le dessus sur la rationalité. Et l'on cherchera à rallier le plus de gens possible à cette demande officielle.

*** Par rapport à cette question, notamment, je disais dans ma chronique qu'il était articulé sur la question acadienne, bref: que ça pourrait aider. Mais je me suis aperçu, après y avoir réfléchi, que cela ne serait peut-être pas d'un grand secours pour l'Acadie puisqu'il sera astreint à un devoir de réserve. Il ne pourra plus vraiment alimenter le débat acadien, sauf comme il l'a fait dans son discours d'installation, un discours apolitique aux accents humanistes, soit, mais qui, somme tout, ne fait que souli- gner les liens entre les composantes du Nouveau-Brunswick et la Couronne britannique. Le contraire serait impensable!

*** Mais tout cela à mes yeux ne fait pas de cet artiste de renom un Acadien vendu à qui que ce soit. Je ne peux tout simplement pas ici commencer à lui prêter des intentions mercantiles ou autres. Dans la vie de chacun et de chacune d'entre nous, il y a des moments où, pour mille et une raisons qui n'ont rien de machiavéliques; on pose des gestes et on les assume en fonction de son histoire personnelle, ou de la conjoncture, ou de quoi que ce soit d'autre qui nous touche, à ce moment-là, et nous incite à agir comme nous agissons, à ce moment-là. Je me dis donc qu'il faut donner sa chance au coureur. Qu'il faut lui donner le temps de faire sa marque, de montrer ses couleurs, d'agir dans le quotidien. C'est là que nous verrons, entre autres, s'il est utile de nommer un artiste à ce genre de fonction. C'est là que nous verrons si un poète est capable de tenir un discours «royal» qui sort des formules convenues, qui éclaire notre conscience, qui a prise sur le réel.

*** En passant, il est ridicule d'invoquer le fait que sa nomination aura une incidence sur les bourses que pourraient dorénavant recevoir des artistes acadiens sous prétexte qu'il ne pourra plus, lui, y avoir accès. Ce genre de propos m'attriste un peu, et m'étonnera toujours. Car en fait, soyons honnêtes, si Hermé a reçu des bourses d'artiste du Conseil des Arts, il les a obtenues après que ses projets eurent été analysés et évalués par ses pairs, des artistes comme lui, et non des fonctionnaires. Et c'est à la demande même des artistes que ce système d'attribution des bourses a été mis en place, justement pour éviter le patronage, ou pour éviter qu'elles soient offertes de façon arbitraire. Si quelqu'un en a contre le processus d'attribution des bourses du Conseil des Arts, c'est au Conseil des Arts qu'il doit s'en prendre, et non pas aux boursiers.

*** Cela étant dit, pour en revenir à l'Acadie moderne que notre nouveau lieutenant- gouverneur appelle de toute son âme, j'en profite pour l'inviter publiquement à oeu-vrer en faveur de la reconnaissance du site de Grand-Pré comme élément du patrimoine universel de l'Unesco. Au même titre que la ville de Québec l'est déjà, par exemple. Ce serait une façon fort honorable de faire rayonner l'Acadie tout en la désengageant des ornières où elle risque de s'engluer en perdant ses énergies à demander une reconnaissance de torts qui ne viendra jamais. Et qui, même si elle devait être formulée, ne changera strictement rien au passé, ni à l'avenir. À moins que cette reconnaissance ne soit accompagnée de mesures réparatrices, ce qui m'étonnerait encore plus! Ce qui mettra vraiment un terme à la tragédie de la Déportation, c'est la confiance en soi, la détermination de vivre et de s'épanouir, de prendre l'Histoire à bras-le-corps et de lui donner un élan par en avant. Et ça, même la reine ne peut pas le faire pour les autres. L'avenir de l'Acadie ne passe pas par l'Angleterre, il passe par les Acadiens et les Acadiennes.

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