C'est la vie, genre!

Rino Morin Rossignol - 10 décembre 2003

Je suis rouge rouge rouge de honte. Rouge libéral, quoi! Un lecteur m'a fait remarquer que contrairement à ce que j'affirmais facétieusement dans ma chronique de samedi dernier, le 28 juillet est une date significative pour l'Acadie. Voui, voui. C'est le 28 juillet 1755 que les Anglais avont décidé de déporter les Acadiens et Acadiennes. Première nouvelle!

Rino Morin Rossignol Chroniqueur morinrossignol@sympatico.ca

J'espère que vous allez me pardonner ce mini crime contre l'humanité. Que voulez-vous, on peut pas tout retenir. Une chance. Car, si c'était le cas, on aurait la tête pleine de dates, de noms propres, de lieux exotiques, d'événements historiques. Et il nous resterait plus de place pour le nouveau, l'inédit, l'inusité. Bref, le stuff avec quoi la vie est faite.

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Cela étant dit, j'ai bien hâte de voir ce que tout cela va changer dans la psyché acadienne, depuis le temps qu'on répète que la Déportation fut un traumatisme tel qu'on en ressent encore les séquelles 248 ans après le fait et qu'une reconnaissance royale de la chose allait permettre de cicatriser cette plaie apparemment béante. Espérons que ceux qui ont diagnostiqué un traumatisme se sont trompés, et que ceux qui ont prescrit une reconnaissance de torts en guise de réparation ne se sont pas, eux, leurrés. Je vois quand même poindre à l'horizon un élément positif dans toute cette histoire abracadabrante d'excuses de la reine métamorphosées en reconnaissance du Parlement. Le reste du Canada, y compris les Québécois qui partagent avec l'Acadie une grande part du patrimoine francophone en Amérique du Nord, va peut-être trouver dans cette initiative un début de conscientisation à la réalité acadienne. Certes, il serait faux de soutenir que le Québec ignore totalement le fait acadien, mais force est de constater que ça se limite souvent à quelques images folkloriques. Disons que le houmard et la Sagouine ont la cote. Pour le Canada anglais, où certains médias ont appelé la Déportation «the Transportation of the Acadians», prions. Je vois rien de plus pratique que ça.

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Mais je ne voudrais pas vous déprimer avec ça. Après tout, c'est bientôt Noël et il est temps de penser à des choses extrêmement réjouissantes, comme l'achat des cadeaux de Noël, la décoration du sapin, les réunions de famille, les partys de bureau. Et Nez Rouge. Noël est une fête si magique, si enlevante, si pleine de bons sentiments! OK, il se peut que vous n'ayez pas envie d'acheter de cadeaux, que vous n'ayez pas le goût de vous retrouver en famille, où il vous faudra éviter tous les sujets de conversation pour ne pas déclencher une engueulade, que ça ne vous tente pas de voir votre boss sur la balloune au party du bureau. Dites-vous que ça n'arrive qu'une fois par année, et faites contre mauvaise fortune, bon coeur. De toute façon, après trois gin tonic, Noël embellit à vue d'oeil!

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Efforcez-vous d'être dans l'esprit des Fêtes. C'est-à-dire dans un état de stimulation tous azimuts, pendant quelques semaines. Ce n'est vraiment pas le temps de penser à l'Irak, ou à l'assurance-automobile, ou à la construction de l'usine Bennett, à Belledune. Ouache! Un peu de panache tout de même! Concentrez-vous sur des trucs plus essentiels: la p'tite Shirley qui a les cheveux vert fluo est-elle trop vieille pour une Barbie qui parle toute seule? Le p'tit Kevin, avec son mohawk pis ses anneaux dans le nez, est-il trop jeune pour une édition illustrée des fables de La Fontaine? Pensez aussi aux voisins. C'est le temps où jamais. S'ils ont mis deux cents douzaines de petites lumières tout le tour de leur maison, faites-en autant de grâce. Sinon, vous risquez de passer pour un voisin cheap, le Scrooge de la rue. Pire, on pourrait même penser que vous êtes déprimés et envoyer une travailleuse sociale s'assurer que vos enfants sont bien traités. Non, ne prenez aucune chance. On ne rit pas avec Noël. Soyez peppés comme jamais, promenez-vous en public les bras pleins de paquets, illuminez votre maison comme si c'était un monument national, donnez des claques dans le dos à votre boss au party de bureau. Bref: faites savoir au monde entier que Noël, c'est le top du top. Et appelez Nez Rouge. Ça remonte votre standing.

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Évidemment, cela ne réglera pas le problème des trente mille enfants qui vont mourir de faim tous les jours pendant ce temps-là, y compris le 25 décembre. Mais c'est la faute des gouvernements aussi. Les gouvernements de par là-bas. Ici, c'est beaucoup mieux. OK, ici, ils devraient baisser les impôts, couper les taxes, nous donner plus de services. Après tout, on n'est plus des citoyens, on est des clients maintenant. Certains, les plus chanceux, ont même le statut de «bénéficiaires». Wow! Comme dans les centres d'accueil. Dire qu'il y a des pays où il n'y en a même pas de bénéficiaires. Juste du pauvre monde qui crève de misère et qui sait même pas que c'est Noël. En tout cas, nous, on n'a vraiment aucune raison de ne pas fêter. Aucune raison de bitcher. On va même avoir un beau gouvernement tout neuf pour Noël. Non, on n'a pas voté pour, ni contre. On n'a même pas eu besoin de voter, le coup d'État sympathique qui a tassé l'ancien premier ministre libéral pour un nouveau premier ministre conservateur s'est fait entre amis. Tu parles d'un adon, toé! On est chanceux de vivre en démocratie, parce qu'il y a des pays où ça se passe pas comme ça. Les gens doivent lutter, protester, revendiquer, et même, ô horreur: ils doivent voter! C'est pas pour rien qu'on dit que l'Amérique est le pays de l'Eldorado. We are the best!

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Bon, cela étant dit, je dois vous laisser. Je m'apprête à installer mon nouvel ordi et, by God, ça me stresse au max. Non seulement je suis ignorant du passé, comme en fait foi ma bourde sur le 28 juillet, mais je suis aussi ignorant du présent, comme l'atteste mon trac à l'idée que je vais ploguer ça dans le mur et que ça va me sauter dans la face. Espérons que je serai encore là samedi prochain! C'est la vie, genre.›

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