La semaine des grandeurs

Rino Morin Rossignol - 13 décembre 2003

Je vous dis que ça brassait jeudi à Montréal! Y en avait des grandes affaires dans l'air: la grande guignolée et la grande perturbation des syndicats. Sans compter, à Ottawa, la grande dernière journée de Jean Chrétien et la grande veille de Paul Martin. Tout ça, sous une grande pluie glaciale . Rino Morin Rossignol Chroniqueur morinrossignol@sympatico.ca

Encore une fois, comme il en est souvent dans l'Histoire canadienne, c'est l'Acadie qui avait lancé le bal. Car, cette semaine, des grandeurs avaient commencé mercredi, lors de la proclamation de l'affaire qui dit que la reine ne s'excuse pas pour le Grand Dérangement, ni le gouvernement fédéral ni personne finalement, mais que, bon, OK, oui, il y a eu des gens qui ont pu bénéficier jadis d'une croisière maritime, tous frais payés par leurs maisons brûlées et leurs terres spoliées, et que, tout compte fait, ils étaient donc bien chanceux c'te monde-là, car, aujourd'hui, leurs descendants ont une proclamation juste pour eux autres et, aussi veinards que leurs ancêtres, personne ne leur demande de s'excuser d'être encore là, surtout pas le 28 juillet qui commémorera tout ça.

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J'ai manqué le début de la cérémonie de la déclaration de la proclamation, à moins que ce soit la proclamation de la déclaration. Je ne pourrai donc pas commenter la robe ou le chapeau d'Adrienne dont le style vestimentaire, je m'en suis déjà souvent désolé ici, frise l'anarchie esthétique. Par contre, j'ai vaillamment écouté la ministre du Patrimoine, Madame Copps, lire, très laborieusement, la version française de la proclamation. On pourra dire qu'elle aura trimé très fort jusqu'à la dernière minute. Le reste de la cérémonie était à l'avenant: rien de spectaculaire, plutôt une ambiance conviviale un brin surannée. La très belle Lina a chanté un cantique dans une langue morte, ce qui m'a un peu déçu, car depuis le temps que les Acadiens et les Acadiennes se battent pour protéger et promouvoir la langue française, me semble qu'en des moments solennels, ça devrait s'entendre. Mais, bon, la reine voulait peut-être pas.

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Le président de la SNA, M. Euclide Chiasson a remercié bien des gens pour leur «engagement» dans ce dossier. Curieusement, parmi ceux qu'il a nommément cités, certains étaient, il y a un printemps, férocement opposés à la motion du député bloquiste Stéphane Bergeron, un mauvais Acadien puisqu'il n'est pas fédéraliste. M. Chiasson n'a donc pas remercié le méchant député. Il n'a pas non plus remercié l'avocat Perrin de la Louisiane. Mais il a nommé le député fédéral Jeannot Castonguay qui, paraît-il, avait travaillé très fort pour faire avancer ce dossier, à ma très grande surprise générale personnelle. Bref, on a vu à l'oeuvre une brochette de libéraux qui s'autocongratulent. On est loin de la représentativité acadienne. Des gens qui bitchent et torpillent des dossiers et viennent ensuite recueillir les fleurs quand ça réussit malgré eux, on voit ça souvent au Parti libéral. Mon ancien patron, Jean-Maurice Simard, avait coutume de hurler quand il voyait un tel étalage de partisanerie rouge. Et Dieu sait s'il était capable, lui, d'être partisan bleu! Cout' donc, il aurait-tu déteint sur moi?

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Anyway, on l'a eu la mautadite déclaration, yéé, et je félicite tous ceux et celles qui s'estiment en droit de recevoir des félicitations pour cette merveilleuse entourloupette sémantique. Car, vous l'aurez noté, et on l'aura souligné en gras, cette déclaration est d'une lénifiante ambiguïté. Tout ce que j'ai retenu, c'est que Mme Windsor, par le truchement de son parlement en Canada, a parlé de ses féaux sujets! Good Lord! Au moment même où on lit une déclaration rendue nécessaire par le refus, jadis, des Acadiens de se déclarer sujet de la cour britannique, Mme vient tourner le fer dans la plaie en rappelant subtilement que c'est elle qui a gagné! C'est pas fair! Cela étant dit, il faut maintenant regarder par en avant. De toutes façons, c'est par là qu'on s'en va! On a quasiment pas le choix. Et comme disait Talleyrand, selon un illustre lecteur de cette chronique, «Si Dieu avait voulu qu'on regarde vers le passé, il nous aurait créés avec les yeux derrière la tête.»

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Évidemment, dans cette semaine des grandes affaires, il faut aussi mentionner le nouveau gouvernement fédéral. Ce qui m'a le plus frappé dans tout ça, ce n'est pas tellement le fait qu'il y a tout plein de nouveaux ministres avec des noms bizarres, c'est plutôt les amalgames de responsabilités confiées à certains ministres. Par exemple, le ministre Pierre Pettigrew s'occupera de la santé, des relations intergouvernementales et des langues officielles. Je ne vois pas vraiment de lien entre ces trois affaires-là. À moins que le nouveau premier ministre ait voulu nous indiquer que les langues officielles sont malades et que cette maladie contagieuse risque de se propager de façon intergouvernementale. Quoiqu'il en soit, on verra dans les prochaines semaines de quel bois se chauffent M. Martin et son équipe. Mais il ne faut pas s'attendre à un gouvernement «activiste», car M. Martin sera plus occupé à préparer les prochaines élections. Bonbons électoraux à l'horizon! Une crainte, cependant: il ne faudrait pas que le nouveau premier ministre du Canada aille se jeter dans les bras de Baby Bush qui vient justement de montrer, cette semaine, jusqu'à quel point il peut être mesquin en refusant que certains pays puissent participer à la reconstruction de l'Irak qu'il a mis à feu et à sang. Ce serait une insulte à l'intelligence des Canadiens et des Canadiennes que d'aller faire des mamours à un leader mondial qui fait l'unanimité sur son inanité! Excusez la rimette.

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Enfin, cette grande semaine nous aura fait vivre de bien beaux petits moments. Y compris l'épisode de la «p'tite madame» de Jean Charest. Non, mais, il l'as-tu, lui, le tour de se mettre les pieds dans les plats! Ce n'est vraiment pas le genre de propos qui va augmenter la sympathie publique à son égard, d'autant plus que certains le soupçonnent de vouloir replonger le Québec dans la Grande Noirceur de Duplessis! Talleyrand s'est peut-être trompé: certains ont peut-être les yeux derrière la tête!

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