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Luc Desjardins - 15 décembre 2003
Très chère Elizabeth, Bon lundi! Je t'écris à la première personne du singulier parce que je me sens singulièrement intime ce matin devant ta béatitude. Ça me convient aussi de te tutoyer. J'exerce ainsi une des distinctions de la langue française que tes ancêtres n'ont pas réussi à éradiquer d'ici, terre d'Acadie. Ce n'est pas qu'ils ne s'y ont pas appliqué, je te l'assure. Luc Desjardins Chroniqueur pago@nbnet.nb.ca
Selon la proclamation royale de ta Couronne canadienne, ils ont provoqué des naufrages et des maladies à des milliers de réfugiés acadiens. En termes clairs, ils ont décimé un peuple! Ce n'est pas peu dire. Ça mériterait même, de nos jours, une mise en accusation devant un tribunal international pour crime contre l'humanité. Mais rassure-toi, rien de tel ne te guette. Les souffrances subies lors du Grand Dérangement des Acadiens ne sont plus de ton ressort: le Canada s'en est maintenant accaparé l'odieux. Ou plutôt ta Couronne canadienne, entendons-nous. C'est d'ailleurs de ta Couronne ca nadienne dont je veux te parler. Elle trempe à plusieurs sauces et le saucier canadien la martèle drôlement de ces temps-ci. C'est que, vois-tu, selon l'Ottawa Citizen, les Acadiens auraient refusé, à une autre époque, de prêter serment d'allégeance au Ca nada. Quel affront, Ô Canada, à cette terre de nos aïeuls. Certes pas un fleuron glorieux de notre histoire!
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Je sais que c'est plutôt impersonnel de parler de ta Couronne, joyau de ton Empire. En tant que symbole de la plus haute autorité des pouvoirs publics, là-haut, à la cime de la pyramide politique, elle fait figure de proue. Même si elle est, somme toute, inanimée. Du moins, telle était sa prestation lors de la cérémonie marquant la reconnaissance des torts à l'Acadie. Ta digne repr ésentante au Canada, Adrienne Clarkson 1re, était de fait à Saint John, New Brunswick, bastion des loyalistes à ta Couronne, alors même qu'en ton nom, à Ottawa, on reconnaissait les torts qu'elle avait causés. Un peu comme quoi ta Couronne est impersonnel le. Personne n'a osé la coiffer en cette occasion. J'ai vu défiler un tas de dignitaires qui, pour l'apparat, s'étaient réunis en fin de régime. À la sauvette, des ministres déchus qui proclamaient, haut et fort, que le Canada reconnaissait les torts cau sés par «ta» Déportation des Acadiens. Quelle usurpation! Par ceux-là mêmes qui, il n'y a pas si longtemps, clamaient qu'il y avait des choses plus importantes à traiter que ces gestes symboliques pour gens figés dans le passé. Ce manque de respect envers ta digne personne aura été poussé plus loin: on aura même dit que tu es une reine lointaine, toi, Ô reine du Canada! J'ai trouvé, ma très chère Majesté, que tes loyaux sujets, et même les moins loyaux, étaient d'une fatuité indigne de ta grandeur. Voilà pourquoi je te demande, toi, Elizabeth II, reine du Royaume-Uni, souveraine des mers, gardienne de la foi, seule et unique porteuse de la Couronne du chef de mon État, de mettre tes culottes - oups, ton jupon - et surtout ta coiffe, et de venir ici, en te rre d'Acadie, prononcer les mots qui réconcilieront à la fois le passé et l'avenir. Parce qu'il n'y a qu'une tête qui peut porter cette Couronne dans de telles circonstances. Ni Copps, ni Chrétien, ni Dion, ni Martin, ni Clarkson, ni Chiasson, ni personn e d'autre que la reine d'Angleterre ne peut prononcer les mots qui jetteront un baume sur la plaie. C'est un peu comme si un nouveau propriétaire de maison demandait à son avocat, son banquier ou son jardinier de s'excuser pour des torts causés par le propriétaire d'antan. Ça fait chic. Mais ça n'excuse rien. Tes déloyaux sujets étaient des porteurs d'eau. Maintenant, c'est à toi d'être porteuse de message. Excuse-toi et excusez-la. Et bonne semaine, ma très chère.
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