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MICHEL VENNE (Le Devoir) : Pour l'Acadie d'aujourd'hui
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Michel Venne
LE DEVOIR
Le vendredi 11 mai 2001
Un pardon de la reine aux Acadiens pour la déportation de 1755 serait un geste historique significatif et potentiellement utile pour l'Acadie. À condition que ce soient les Acadiens qui le demandent eux-mêmes.
Nous assistons, partout dans le monde, à une vague de repentance, de pardon, de reconnaissance de torts, par des dirigeants politiques, voire par le pape, pour des crimes commis il y a des centaines ou des dizaines d'années. La France est en ce moment déchirée par l'idée que la République présente des excuses à l'Algérie pour la torture pratiquée dans ce pays durant les années 50 par les autorités militaires françaises.
Le Canada lui-même s'est excusé auprès des Italo-Canadiens et des Japonais pour les traitements subis durant la guerre. Il a exprimé ses regrets aux Amérindiens pour les sévices dont ont souffert les enfants hébergés dans les pensionnats publics. Le Japon a présenté ses excuses à la Corée. Eltsine a demandé pardon au peuple russe pour les abus du communisme. Le pape Jean-Paul II, au nom de la nécessaire «purification de la mémoire», a demandé un pardon omnibus pour les péchés de l'Église à l'occasion du jubilé de l'an 2000.
Toutes ces manifestations, et d'autres, ne sont pas équivalentes. Elles doivent être vues dans leur contexte propre. On peut y voir un rituel qui devient automatique, de l'hypocrisie, du calcul, une forme de mimétisme. Mais ces cérémonies de culpabilité, ces confessions spontanées ou requises, répondent aussi à un bon mouvement. Elles relèvent généralement d'une volonté de réconciliation. Ce sont des processus pragmatiques, qui aident à mieux vivre ensuite et appellent à ne pas répéter de tels événements abominables.
Depuis déjà dix ans, le Cadien Warren Perrin fait circuler une pétition qui demande à Sa Majesté la reine Élisabeth II de présenter des excuses au peuple acadien pour la déportation dont il a été victime en 1755 et l'annulation de l'ordre d'exil qui, théoriquement, est toujours en vigueur. Il ne demande aucune réparation financière.
En 1755, les autorités britanniques ordonnent la déportation des Acadiens sous le prétexte qu'ils refusent de prêter serment d'allégeance à la Couronne anglaise.
Jusqu'en 1763, une dizaine de milliers d'Acadiens ont été déportés, leurs maisons brûlées. Un grand nombre sont morts sur les navires qui les transportaient. Ce que l'on a pudiquement appelé le «Grand Dérangement» était en fait un nettoyage ethnique avant la lettre.
La Société nationale de l'Acadie (SNA) a mis sur pied un comité à ce sujet. Certains aimeraient que la reine puisse faire une déclaration lors du prochain congrès mondial acadien, en 2004, en Nouvelle-Écosse.
Cette demande, qui semble aller de soi pour beaucoup d'Acadiens, fait pourtant l'objet d'une querelle avec le député bloquiste d'ascendance acadienne Stéphane Bergeron. Celui-ci a présenté le 27 mars une motion aux Communes pour que le gouvernement du Canada demande à la Couronne de s'amender. La SNA lui demande de laisser les Acadiens s'organiser eux-mêmes avec leurs affaires et de retirer cette motion. M. Bergeron devrait se plier à leur souhait, tout comme nous n'avons pas la prétention de parler ici au nom des Acadiens.
Il nous semble toutefois que cette requête serait légitime. Ces excuses seraient utiles si elles servaient aux Acadiens non seulement à mettre ce drame derrière eux mais aussi à reconnaître ce peuple pour ce qu'il est devenu. Ce pourrait être l'occasion, en même temps que c'est le défi qu'ils se lanceraient à eux-mêmes, de redéfinir un nouveau mythe collectif acadien. L'Acadie cherche, depuis quelques années, à réaffirmer son unité politique, quelque part entre le rêve d'une indépendance étatique que peu d'entre eux souhaitent et qui semble inaccessible, mais loin aussi de la réserve ethnique que l'Acadie n'est plus depuis longtemps.
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