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INTERVIEW D'HERMÉNÉGILDE CHIASSON par ABBÉ LANTEIGNE
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Radio-Canada, Ce Soir, le 3 septembre 2003
ABBÉ LANTEIGNE - On revient ce soir sur la nomination d'Herménégilde Chiasson au poste de lieutenant gouverneur du Nouveau-Brunswick. Herménégilde Chiasson est un artiste acadien bien connu, originaire de Saint-Simon dans la Péninsule acadienne. Cette nomination est loin de faire l'unanimité dans la communauté acadienne, à en juger par les nombreuses chroniques, éditoriaux ou opinions du lecteur sur la question dans les différents médias. Pour en discuter, j'ai rencontré Herménégilde Chiasson ce matin dans sa nouvelle résidence à Fredericton.
Herménégilde Chiasson, bonsoir.
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Bonsoir.
ABBÉ LANTEIGNE - Vous êtes maintenant lieutenant gouverneur du Nouveau-Brunswick. Dites-moi, pourquoi avez-vous accepté un poste comme celui-là ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Bien moi, j'ai travaillé beaucoup dans les institutions culturelles. J'ai été président de plusieurs associations et je trouvais que c'était un profile très intéressant pour la culture. En fait quand on m'avait téléphoné en juin pour voir si j'étais intéressé à cet emploi là, j'avais dit oui. Déjà, j'étais très surpris et honoré en même temps. Parce qu'habituellement ce n'est pas le genre de profile que l'on recherche pour ce genre de travail là, et j'en ai fait part à la secrétaire du bureau du Premier ministre et finalement eh, je n'ai jamais espéré que ça allait finalement aboutir à ma nomination.
ABBÉ LANTEIGNE - Quelles sont vos affinités avec un poste comme celui-là ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Ben, je crois que c'est surtout un poste de porte-paroles, parce qu'évidemment on n'est pas élu, donc c'est pas véritablement un poste de pouvoir exécutif, mais je pense que en tant que porte paroles on peut sensibiliser les personnes à différentes choses, et donc que c'est un peu pour cette raison là aussi que j'ai accepté.
ABBÉ LANTEIGNE - Quelle saveur allez-vous donner en tant qu'Acadien à un poste comme celui de lieutenant gouverneur ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Ben, je crois que durant les, je dirais les dix, vingt dernières années, je pense que l'Acadie a fait d'énormes pas au niveau culturel et j'ai l'impression que la nouvelle vision de l'Acadie à l'heure actuelle a été en grande partie façonnée par les travailleurs au niveau culturelle. Alors, c'est sur et certain que ça va donner un peu cette vision là, ça va donner un peu cette teinte là. Et, j'espère évidemment mettre de l'avant, ne serait-ce que par ma simple présence, ou par mon encouragement, les mêmes causes que j'ai toujours défendus par rapport à la culture.
ABBÉ LANTEIGNE - Quelles sont les liens qui vous ont conduit vers cela, les liens politiques ? On dit que vous avez écrit des discours pour Dominic LeBlanc. Dites-moi, est que cela a été des éléments, qui selon vous, ont été déterminant dans votre nomination?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Ben, c'est sur et certain, je veux dire, il y a quelqu'un qui doit faire une suggestion, ou acheminer une suggestion. Alors, c'est sur que ma relation avec Dominic LeBlanc m'a probablement aidé dans ce sens là. Mais, je ne pense pas finalement que c'est lui qui a pris cette décision là. La décision a été prise par le Premier ministre. Il y avait d'autres personnes en liste, évidemment.
ABBÉ LANTEIGNE - Oui. C'est une décision, vous êtes bien au courant, qui ne fait pas l'unanimité chez les Acadiens. Il y en a qui parle de trahison, il y a des gens qui disent que vous êtes un profiteur, que vous voulez profiter un peu du système. Dites-moi, comment réagissez-vous à ces propos ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Mais, je crois que ce qui est merveilleux, c'est la critique. J'ai toujours été un ardent défenseur de la critique, et je n'ai jamais et je n'ai jamais répondu à aucune critique, donc je ne répondrai pas à ces critiques là, mais je pense que si l'on peut donné un espèce de son de cloche général, je crois, c'est surtout dû au débat qui a cours actuel dans la société acadienne relativement aux excuses de la Couronne pour la Déportation.
ABBÉ LANTEIGNE - Est-ce que ça vous fait mal quelque part de voir qu'il y a des gens qui n'accepte pas que vous soyez à ce poste là ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - J'ai toujours été contesté jusqu'à un certain point. C'est à dire, puis après ça les gens se rallient pour une raison ou pour une autre. Alors, je me dit que je ne peux pas contenter tout le monde. C'est sur et certain qu'il y a une certaine animosité. D'ailleurs, au début il y a eu une espèce de joie et puis là tout d'un coup, il y a eu certaines critiques par rapport à ça. Moi, je ne peux pas m'impliquer directement dans ce débat là, mais je suis très curieux de voir comment est-ce que ça va évoluer. Je sais qu'à l'heure actuelle, la SNA a cheminé au palais de Buckingham une lettre qui lui a été acheminée par la gouverneure générale. Il faudra attendre quelle va être la réponse. En fait, je veux dire, moi, je n'ai pas grand chose à faire là dedans. Je ne sais pas pourquoi on a focalisé là dessus. Et aussi, évidemment, avec des arguments que je considère un peu démagogiques, mais ça, bon, je veux dire, c'est un peu le propre de toutes critiques.
ABBÉ LANTEIGNE - Mais vous, fondamentalement, vous serez en faveur ou contre des demandes d'excuses à la Couronne britannique ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Moi, j'ai toujours mis de l'avant la même position ehhh, que finalement, durant toute ma vie je n'ai jamais été trop été ehhh, je n'ai jamais participé dans des causes trop nationalistes. Je trouve que le nationaliste, c'est une idéologie assez étrange et dont j'ai eu tendance à me tenir assez loin.
ABBÉ LANTEIGNE - Vous êtes perçu comme nationaliste, ne serait-ce que par l'ensemble de vos œuvres ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Oui. Exactement. Ça par exemple, dans ce sens là, je suis nationaliste, mais mon nationaliste, c'est justement de rajouter quelque chose à la conscience acadienne et non pas de se retourner vers le passé. J'ai toujours été un ardent défenseur du présent. Évidemment, le présent aiguille vers l'avenir plutôt que vers le passé.
ABBÉ LANTEIGNE - Mais, s'il y a une chose que l'on ne peut pas enlever aux Acadiens, c'est probablement leur histoire, parce que ils y sont très attachés. Il y a des gens qui vont certainement voir dans vos propos le fait que l'histoire, bon bien c'est l'histoire et ça devrait rester là, alors que vous voulez vous tourner vers l'avenir que vous dites. Donnez-nous plus de détails sur votre position par rapport à cela.
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Ben je crois que moi, j'ai toujours été, même dans mes œuvres, c'est quelques choses qui est revenu souvent l'histoire, j'ai fait un film par exemple qui s'appelle « Les années noires », sur la Déportation, dans lequel justement, j'essaye de montrer que les Acadiens n'ont pas cette image de martyrs qui montent à bord des bateaux en train de chanter des cantiques, mais que chez les Acadiens, y a eu des collaborateurs, y a eu des gens qui étaient des terroristes, etc. Donc, finalement, c'est de projeter une autre vision de l'histoire que toujours cette notion de se fonder comme victimes, et du moment on est victime, on se cherche un bourreau. À partir de ce moment là, les choses fonctionnent assez bien, parce qu'on est dans un rapport bourreau-victime. Et moi, je n'ai jamais mis de l'avant ce principe là. Je crois que l'histoire c'est très important. De l'histoire on peu tirer de grandes leçons, mais les leçons on les appliquent toujours dans le présent et ça nous sert dans l'avenir.
ABBÉ LANTEIGNE - Mais comme vous avez prêté serment à la reine, lors de votre assermentation, un serment en fait que les Acadiens ont refusé de prêter eux-mêmes et pour lequel d'ailleurs, ils ont été déportés en 1755. Qu'est-ce qui vous ait passé par la tête?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Oui, je sais que j'ai prêté le serment d'allégeance, mais, qu'on a fait le film « Acadie liberté », en fait ce n'est pas moi qui l'a fait, mais c'est la compagnie avec laquelle je suis affiliée, qui s'appelle Far-Est, avec laquelle j'étais affilié, parce que maintenant je n'ai plus d'affiliations commerciales. Finalement, on a fait une recherche et on a découvert à Londres des boîtes de serments d'allégeances que les Acadiens ont prêté. Et, à ce moment là, ça relance le débat dans une toute autre perspective, parce que, ça veut dire que l'on aurait été des citoyens britanniques. Et moi de prêter le serment d'allégeance, je fait la même chose que nos pères ou nos ancêtres ont fait. Finalement, ils ont prêté le serment d'allégeance. Alors, toute cette notion là, est dérivé en très grande partie, selon moi, du poème Évangéline, qui renforce le mythe encore, et le poème Évangéline est l'œuvre de Longfellow, c'est une œuvre encore là de nationaliste. C'est un nationaliste américain qui s'est servi de nous pour faire avancer sa propre cause. Et, dans ce sens là, je pense qu'il faut départager l'histoire et le mythe, et on ne le fait pas toujours.
ABBÉ LANTEIGNE - Mais là, on va fêter le 250ième anniversaire de la Déportation quand même en 2005, et il y a des gens qui vont certainement vous voir le représentant direct de l'oppresseur de l'époque. Quel est la logique de tout ça pour vous ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Oui, oui. On peut transporter les anciennes haines, et les transporter comme ça, je veux dire ad vitam. Je ne sais pas exactement. Je ne peux pas anticiper la perception que les Acadiens auront de mon rôle ou de moi. Moi je sais, je trouve ça assez étrange. Tout d'abord la célébration de la déportation, je pense que l'on est le seul peuple au monde à célébrer (Hi! Hi!) son propre, son propre (sic), comment je peux dire, sa propre malchance. Mais, je vais voir d'ici à ce temps là comment ça va être vu. C'est sur et certain. Il y a une grande partie de la population acadienne qui voit tout l'élément anglophone comme leur bourreau.
ABBÉ LANTEIGNE - Ça vous fait peur un peu ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Ehhh, non. Pas vraiment. Il faudra voir à ce moment là comment est-ce que ça va se dérouler. Parce que je ne peux pas anticiper, justement, je peux seulement vivre ses choses là à mesure qu'elles vont se produire.
ABBÉ LANTEIGNE - Vous êtes un artiste, Herménégilde Chiasson, le milieu par excellence de l'expression, de la revendication, de la contestation, alors que le poste de lieutenant gouverneur c'est peut-être vu comme un poste qui achète le silence des gens. Est-ce que vous allez vous sentir étouffé en quelque part ?
HERMÉNÉGILDE CHIASSON - Non, je ne crois pas. Je pense de toute manière que cela fait un peu une pose à l'intérieur de mon parcourt. J'ai travaillé durant très longtemps à Radio-Canada. Par exemple, j'ai été réalisateur. C'est sur et certain que par ma fonction, je devais avoir un certain comportement, et même à l'époque où je travaillais à Radio-Canada, je n'ai pas publier de livre. J'écrivais beaucoup, mais je n'ai publié et c'est peut-être ce qui va se produire à ce moment ici. Mais, je vois ça comme une étape importante, parce que ça va me permettre de faire une mise au point, ça va me permettre d'arrêter, parce que ces dernières années, je me suis rendu compte que je faisais énormément de choses. Et évidemment, quant on fait énormément de choses, c'est très difficile de se ressourcer ou de se renflouer. Alors, je vois ça un peu comme ça, je vais prendre une certaine distance, c'est certain. Mais, je vais retourner.
ABBÉ LANTEIGNE - Herménégilde Chiasson, on vous souhaite un bon succès dans votre mandat.
Au revoir.
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