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BELCHER N'AVAIT-IL PAS AGI ILLÉGALEMENT DANS LA DÉPORTATION DES ACADIENS ?
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L'Évangéline, le 18 mars 1914, page 4
Transcription : Fidèle Thériault
(Note de la rédaction)
LA DÉPORTATION DES ACADIENS
La semaine dernière nous donnions à nos lecteurs l'avantage d'une traduction de la correspondance habile et sympathique de monsieur W. C. Milner de Halifax, lettre pleine d'intérêt historique, tout particulièrement pour nous, mais intéressante aussi pour tous ceux qui tiennent à connaître la vérité, les faits de l'histoire. Il donnait, comme nos lecteurs ont pu le voir, de sages conseils et de bonnes leçons aux pseudo historiens qui, coûte que coûte, à tort et à travers, veulent justifier Lawrence et son Conseil de leur acte injustifiable de la déportation de nos pères.
Aujourd'hui encore, nous avons le plaisir de faire part à nos lecteurs de la traduction d'une autre lettre non moins intéressante sur le même sujet, mais qui est traité à un point de vue différent et nouveau. L'auteur, monsieur J. A. Chisholm, avocat très habile, distingué et lettré, ex maire de Halifax, N.-É., démontre d'une manière irréfutable, comme on le verra par la lecture de sa lettre, que l'acte de l'expulsion des Acadiens en 1755 était illégal.
Nous voulons témoigner ici publiquement à MM. Milner et Chisholm, notre profonde gratitude pour leurs habiles et si appréciables contributions à l'éclaircissement d'un événement si tragique, et pour nous, si navrant, de l'histoire de l'Acadie.
RÉMI BENOIT
TRADUCTION
BELCHER N'AVAIT-IL PAS AGI ILLÉGALEMENT DANS LA DÉPORTATION DES ACADIENS ?
M. Le rédacteur du " Chronicle " :
Monsieur,
L'esquisse de la vie et des services publics du juge en chef Belcher, que le juge en chef Sir Charles Townshend a lu à la séance de la Société Historique de la Nouvelle-Écosse, vendredi soir (1er mars), est une contribution importante et appréciable à l'histoire politique de la province. Préparée avec soin, après des recherches complètes faites à toutes les sources d'où l'information pouvait être recueillie, et présentée, comme bien l'on pense, sous une forme attrayante, il était juste et dans l'ordre, qu'à la fin de la séance une motion fut adoptée priant que le document soit publié sans retard parmi les records imprimés de la Société.
Belcher était un homme d'une haute éducation. Il était aussi un avocat habile et expérimenté. Peu de temps après avoir assumé les devoirs de sa position publique à la Nouvelle-Écosse, il attira l'attention du gouverneur et des autres membres du Conseil dont il était lui-même du nombre, que ce corps avait excédé ses pouvoirs en passant des ordonnances ; imposant des taxes sur le peuple ; et, de plus, réglementant leurs devoirs civils. Aucun pouvoir semblable n'était accordé au gouverneur par sa Commission et ses instructions et tous les pouvoirs que le gouverneur possédait découlaient nécessairement de ces documents. Ses pouvoirs définis en termes clairs et précis dans sa Commission et s'il assumait des pouvoirs non conférés par sa commission, son acte en soi était illégal et nul. La Commission autorisait le gouverneur de constituer son Conseil pour l'aider dans le gouvernement du pays, et le Conseil fut, en effet, ainsi constitué ; Mais la Commission continue d'être la seule charte de ses pouvoirs jusqu'à ce qu'une assemblée soit convoquée.
L'opinion du juge en chef Belcher fut approuvée par les légistes de la Couronne dont un devint plus tard le célèbre Lord Mansfield, et c'est à cette opinion, en grande partie, que nous devons l'établissement, de bonne heure dans l'histoire de notre colonie, de nos institutions représentatives. Sur cette question Belcher manifesta la prudence et le tact de l'avocat et du législateur sage. Il montra, avec un sentiment de sollicitude et d'anxiété, que le corps dont il est membre - le Gouverneur et le Conseil - ne devait faire aucun acte, ne devait adopter aucune politique, ni passer aucune ordonnance qui ne serait pas pleinement autorisé par la loi.
Il y avait une autre affaire cependant, dans laquelle il prit une large part de responsabilité, parce qu'elle avait son approbation et son appui, comme membre du Conseil. Pour ce qui est de cette question, on peut avec raison se demander sur quelle base légale le juge en chef s'appuya pour ces actes ? Afin de pouvoir montrer ce point, je vais me référer à des événements d'une date plus récente dans l'histoire de ce qui est maintenant le Canada. On se rappellera qu'en 1837 et 1838 les colonies du Haut et du Bas Canada étaient dans un état de désordre. Un nombre de ses habitants se révoltèrent ouvertement. Ils prirent les armes contre l'autorité de la Reine, et du sang humain fut répandu et des vies humaines furent sacrifiées. Les hommes qui mirent l'autorité de la couronne au défi, quelque fussent leurs griefs - car cela ne touche pas la question - étaient des rebelles d'après la loi, et ils s'étaient rendus passibles, sur conviction, des pénalités les plus sévères que la loi prescrit contre ceux qui sont coupables de trahisons. En janvier 1838, la constitution du Bas Canada fut suspendue ; et afin de rétablir la paix du pays, de retirer en quelque sorte, l'ordre de l'état de désordre, le gouvernement de la Mère Patrie envoya Lord Durham comme gouverneur Général et Haut Commissaire investi de pour exceptionnel pour régler les affaires du pays. La situation était en un mot, une rébellion ouverte, plusieurs des chefs rebelles étaient en prison, la constitution était suspendue, et le Gouverneur en Chef et haut Commissaire investi de pouvoirs extraordinaires, afin de pouvoir régler l'état des choses.
Un des premiers actes de Lord Durham fut de passer une ordonnance requérant que les prisonniers qui avaient pris part à la rébellion soit déportés aux Bermudes, une colonie britannique, en dehors de sa juridiction.
Quand on reçut la nouvelle de cette ordonnance en Angleterre, deux hommes d'État éminents anglais, Lors Brougham et Lord Lyndhurst, déclarèrent dans des discours prononcés à la Chambre des Lords que l'ordonnance était illégale. Le procureur général, Sir John Campbell, et le solliciteur général, Sir R. M. Rolfe, tous deux devenus plus tard Lords chanceliers de l'Angleterre, donnèrent une opinion documentée - raisonnée à l'effet que l'ordonnance, en autant qu'elle avait rapport à la transportation des prisonniers aux Bermudes, était " nulle au delà des pouvoirs du Gouverneur et de son Conseil spécial ".
Les brefs extraits suivants, tirés des discours prononcés aux Chambres du Parlement, montreront comment l'ordonnance fut considérée des hommes d'États les plus éclairés en Angleterre :
Lors Broughman disait : " Aucun pouvoir d'infliger des peines et des pénalités aux individus, qui n'avaient pas subi de procès, n'avait été conféré à Lord Durham. Il pouvait faire des lois générales dans l'intérêt et pour le bien de la colonie, mais il était astreint à ne changer aucun acte du Parlement Britannique ".
Lord Ellenborough déclara : " La moindre déviation faite des principes constitutionnels de la part d'un gouvernement constitutionnel était remplie de dangers. Tels gouvernements d'origine différente pouvaient peut-être risquer se rapprochant du despotisme, mais toute cette transaction était étrangère à l'esprit de jurisprudence anglaise ".
Le Duc de Willington disait : " des mesures devraient être prises afin de mettre le gouvernement du Canada à sa place sur des procédures qui apparaissent totalement illégales. Lord Durham ne paraissait pas savoir ce qu'il faisait. Il est vraiment impossible que le peuple de ce pays puisse permettre qu'un homme soit exilé sans procès ".
Lord Denman, juge en chef, en se présentant en Chambre pour la première fois disait : " mes objections à l'ordonnance ne sont fondées sur aucun point technique de la loi, mais elle sont protées sur une monstrueuse violation de la constitution ".
Sir John Campbell disait : " l'exil des prisonniers aux Bermudes était un acte législatif, mais le pouvoir législatif du gouverneur était limité par les frontières du Bas Canada, et alors il était vain de défendre la légalité de cette transaction ".
La grande erreur de Lord Durham au sujet de ses pouvoirs fut la cause, peut de temps après, de sa déchéance comme homme public.
Les opinions de ces grands hommes - quatre desquels sont devenus, dans un temps ou un autre, Chanceliers de l'Angleterre - n'ont jamais été sérieusement mises en doute, et on peut bien affirmer que ces opinions expriment une exacte représentation de la loi anglaise quant au droit des gouverneurs coloniaux de condamner à la déportation. Si cette loi était bonne et juste en 1838, pourquoi n'eût-elle pas été une bonne loi en 1755 ? En 1755, selon le juge en chef Belcher, il était illégal pour le gouverneur et son Conseil d'imposer une taxe de quelques sous par gallon sur le rhum, ou sur une livre de tabac.
Si le gouvernement et son Conseil étaient restreints dans leur pouvoir à ce point, si impuissants à réglementer des affaires de finances locales, de qui avaient-ils reçu l'autorité légale de passer des résolutions ordonnant la déportation de la Nouvelle-Écosse à d'autres colonies, en dehors de leur juridiction, de plusieurs milles habitants de la province, dont le grand nombre étaient des femmes et des enfants qui n'avaient été jugés coupables d'aucun crime connu dans la loi anglaise? S'il était illégal pour Lord Durham de décréter le bannissement d'hommes pris sur le fait d'une rébellion ensanglantée, assurément on peut bien arguer qu'il était au moins illégal pour Lawrence et Belcher d'ordonner l'exil d'un grand nombre d'hommes, de femmes et d'enfants, qui n'étaient coupables d'aucun crime.
Je ne veux pas - et, en effet, je ne me sens pas compétent en cela - discuter l'expulsion des Acadiens au point de vue de l'intérêt public. Cela n'est pas le point que je soulève. Je me limite entièrement à la question de la légalité de l'acte. Si Belcher jugea qu'il était légal de déporter les Acadiens, sur quoi a-t-il appuyé son opinion que le gouverneur et son Conseil avaient le pouvoir d'en agir ainsi ? Si c'était au delà des pouvoirs du gouverneur et illégal, comment le juge en chef Belcher pouvait-il se justifier comme juge et membre du Conseil, de participer à un acte illégal ? Une réponse à ces questions me paraît être nécessaire en donnant un compte rendu de sa vie et de ses oeuvres.
J. A. CHISHOLM
Halifax 10 mars 1914
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