LA LECTURE DU PROFESSEUR HIND SUR " L'EXPATRIATION DES ACADIENS "

Par Philias F. Bourgeois

[L'Évangéline, Le 26 décembre 1889, page 2]

Ceux qui ont lu le Moniteur de mardi dernier ont déjà appris que M. le professeur H. Y. Hind, de King's College, Windsor, N.-É., donnait une lecture, il y a quelques jours, devant la Société historique d'Halifax, sur l'expatriation des Acadiens. L'Acadian Recorder nous apporte le résumé de cette conférence qu'il appelle " un nouveau rayon de lumière dirigé sur un fait controversé d'histoire " (Some new light thrown on a very old vexed question). Il est permis d'en douter.

Cependant, hâtons-nous de dire que la Société d'Halifax ne s'épargne aucun trouble pour chercher la lumière au sujet de cette question rebattue, mais elle n'arrive point.

Depuis quatre ans, nous avons eu, à la Nouvelle-Écosse, plusieurs lectures publiques données sur l'exode de 1755. Sir Adams Archibald, Hannay, et aujourd'hui le prof. Hind, s'y sont essayés - le premier, même à diverses reprises.

Malheureusement, il est pas toujours vrai de dire que la discussion fasse la lumière, car quelqu'applaudissements qu'aient été faites à ces lectures, elles n'ont encore, jusqu'ici, rien changé au verdict de l'histoire. De beaux efforts, des sophismes, des querelles à propos de dates, réédition des vieux préjugés … enfin un côté de la médaille, et voilà ce que nous donnent ces lectures ; rien de plus.

Quant au professeur Hind, sa lecture de la semaine dernière roule, en ce qui concerne l'expulsion des Acadiens, sur les faits suivants :

1o Que l'abbé Le Loutre souleva, autrefois, contre l'Angleterre, les Acadiens et leurs alliés, les Indiens ;

2o Que M. l'abbé Casgrain, dans son étude intitulée " Éclaircissements sur la question acadienne ", a laissé, volontairement, dans l'ombre une lettre importante du duc de Newcastle envoyée au gouverneur Shirley et ayant trait à la conduite que devait tenir ce dernier envers les Acadiens ;

3o Que le même auteur, dans l'ouvrage précité, aurait attribué l'attaque faite en 1744 sur Annapolis par les Français et les Indiens, à l'irritation causée au milieu des Acadiens par la lettre du gouverneur Shirley écrite en 1748 à l'adresse du duc de Bedford.

Notons, en passant, que dans cette lettre Shirley conseillait à ce dernier de déposséder les Acadiens de leurs riches parts de marais et de leur donner, en échange, des portions de terre haute plus ou moins inculte ou amaigrie et, évidemment, de valeur inférieure. En sus, avis formel était donné à Bedford de ne tolérer aucun prêtre qui oserait critiquer les lois et les gestes de l'autorité britannique - enfin, le gouverneur ne manquait pas de dire au duc combien il serait avantageux d'accorder des privilèges spéciaux aux catholiques qui renonceraient à leur religion.

En tout cas, fier d'avoir surpris une omission et un changement de date (faute d'inadvertance de la part de M. l'abbé Casgrain), le professeur Hind se frotte les mains de plaisir et s'empresse de donner une lecture qu'il annonce à son de trompe sous le titre " Expulsion des Acadiens " et que ses amis intitulent " un rayon de lumière ".

Quoi ? se dit le conférencier, le vice-président de la Société Royale d'histoire au Canada change une date ? Fi donc ! Qui va constater, après cela, que la déportation des Acadiens ne soit pas, désormais, justifiable devant l'histoire ? Et le professeur se pâme d'aise. Il se donne même le plaisir de disserter sur les nouvelles théories de " causation ", sur le nouveau mode d'argumentation employé par l'abbé Casgrain, système qu'il désigne sous le nom de rétro-activité de l'esprit et qu'il classe, incontinent, parmi les merveilles de la psychologie.

Aussi, la lecture terminée, quelques personnages distingués se sont levés pour remercier et féliciter chaleureusement le savant conférencier sur le succès de son étude - et l'auditoire s'en retourne convaincu, sans doute, que les inexactitudes historiques du défenseur des Acadiens démontrent par là même la perfidie de ces derniers et l'opportunité de leur expulsion.

Récriminer après la faute, c'est une fiche de consolation que se donnent d'ordinaire, les coupables - et, en général, on ne se fait pas faute de cette tardive satisfaction. Mais l'histoire est écrite dans le passé, dans le présent, et elle restera, pour l'avenir, ce que le jugement sain et impartial des historiens l'ont faite quand ils l'ont jugée à la haute lumière du droit des gens plutôt qu'à celle de leurs visées personnelles.

À notre connaissance, tous les hommes qui, depuis quelques années, ont écrit ou parlé aux fins de justifier la déportation de nos ancêtres, tous, disons-nous, n'ont pas manqué de bâtir leur plaidoyer sur les raisons qui suivent :

1o Le clergé, ont-ils dit, soulevait les Acadiens contre la domination anglaise ; ceux-ci, à leur tour, stimulaient les Indiens contre la même autorité - de là refus du serment d'allégeance, manque de loyauté, et enfin nécessité d'une expulsion en bloc, pour maintenir la tranquillité, voire même, pour sauver le pays.

Avec de tels arguments on captive, de suite, l'attention du public qui ne voit les choses, que d'un côté et on le persuade sans difficulté.

Mais ces avancés sont-ils justes ? Nous croyons pouvoir démontrer, au cours de cet article, que de telles propositions historiques sont, à notre avis, du moins, essentiellement fausses, quant aux unes - et bien grossièrement exagérées quant au reste.

Toutefois, supposons, pour le moment, que ces arguments soient vrais, peut-on conclure que, pour la faute de quelques chefs opiniâtres, irrités, même ouvertement rebelles, il ait fallu jeter en exil des vieillards, des enfants et des femmes qui étaient là sans défense comme sans crime ? Évidemment non.

Le fair-play britannique ne peut admettre, quoiqu'en disent nos conférenciers d'Halifax, qu'une peine méritée par quelques coupables seulement, puisse être infligée, en justice, à un groupe général d'individus dont la plupart peuvent protester de leur parce qu'ils ne sont point solidaires dans la faute.

La justice ne connaît point d'âge, ni de lieu, ni de circonstance, ni d'hommes, pour altérer son essence. Elle est innée et éternelle. Les décisions arbitraires d'un Cornwallis ou d'un Winslow ne peuvent la détruire.

D'après Cicéron, les lois se taisent au milieu des armes ; mais en temps de paix, un peuple ne peut être chassé sans délit politique et sans qu'on observe, à son égard, les premières formalités de la loi.

Et quoi ? La sévérité de Napoléon 1er envers les Mameluks d'Égypte, les rigueurs du grand Mahomet envers les Turcs, quand il faisait adopter sa religion par l'épée, ne sont que des cruautés à pâle couleur auprès de l'infamie de 1755.

Au moins, le soi-disant prophète des Musulmans respectait la vie des infirmes, des vieillards et des femmes. Il en faisait des esclaves, mais il se gardait bien de les éloigner du sein de la nation.

Et même ici, en Amérique, quand les Noirs de la Jamaïque ont été défaits par les Anglais et transportés en 1796, sur les côtes d'Halifax et à St-Pierre et Miquelon - leurs vainqueurs ont pourvu à leur placement et à leur approvisionnement sur ces rivages étrangers. Pourtant, ces nègres, ces " Maroons ", n'étaient que de provenance africaine, habitués à l'esclavage, quelques-uns au cannibalisme, la plupart, tous même étaient sans foi ni loi ; cependant, on s'intéressait encore à leur préservation, parcequ'ils appartenaient, après tout, à la grande famille humaine.

Nos pères n'ont pas reçu de semblables attentions, et pourquoi ? Parceque, - et voilà, au fond, la cause réelle de l'expatriation - parce que nos ancêtres obéissaient à leurs missionnaires, se laissaient conduire par leurs avis et voulaient les garder au milieu d'eux.

Oui, disons-le à leur louange, les Acadiens qu'on a ostracisés au dernier siècle n'ont provoqué cet exil - si on peut l'appeler une provocation - que parcequ'ils ont préféré, comme la milice de Judas Machubée, risquer tout et perdre tout plutôt que de perdre leurs apôtres dévoués et de voir la destruction des choses saintes.

Maintenant, sans recourir, nécessairement, aux historiens qui nous sont plus sympathiques, feuilletons les ouvrages où s'inspirent ces conférenciers d'aujourd'hui, consultons Beamish Murdoch, Dr Brown, etc.

Nous y trouvons tous les documents voulus pour affirmer que la déportation des Acadiens a eu pour cause injuste, mais principale :

1o Le traitement honteux et vexatoire infligé par les autorités anglaises aux missionnaires de la colonie, surtout de 1730 à 1755 ;

2o Les germes d'irritation semés au milieu des nôtres par ces adroits procédés d'une intolérance presque domitienne - irritation qui déterminé nos pères à soutenir et à défendre ouvertement leurs droits religieux sur lesquels les gouverneurs ne cessaient d'empiéter, contrairement à leurs promesses et au sens de toute loi coloniale alors existante.

Ph. F. B.

(À suivre)

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