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ENCORE TROIS ANS POUR FAIRE RECONNAÎTRE LA DÉPORTATION DES ACADIENS
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Gérald LeBlanc, La Presse - le dimanche 24 février 2002
Warren Perrin, un avocat de Lafayette, en Louisiane, vient de plus en plus souvent au Québec, où sa fille Rebecca a même trouvé un mari, Jean Ouellet, avocat qui a retrouvé le code civil napoléonien au pays de la belle-famille.
Me Perrin nous visitera de nouveau à la mi-mars, alors que le premier ministre du Québec lui remettra, à l'Assemblée nationale, la distinction de l'Ordre des francophones d'Amérique.
On veut ainsi honorer l'infatigable Cadien qui fait campagne depuis 12 ans pour que la Couronne britannique reconnaisse les torts causés aux quelque 15000 Acadiens déportés en 1755.
«Je ne suis pas pressé et je le fais pour mon petit-fils Nicolas à qui je veux pouvoir raconter avec fierté notre histoire», dit le cousin américain qui a déjà reçu l'appui des parlements du Maine et de la Louisiane, dont le sénateur John Breaux promet de présenter lui aussi une résolution à Washington.
La ferveur du Cadien de Lafayette fut contagieuse pour Stéphane Bergeron, d'ascendance acadienne et député bloquiste de Verchères-Les Patriotes, qui a présenté aux Communes, l'été dernier, une requête de réparation pour la déportation de 1755.
Le jeune député avait hélas oublié de consulter les quatre députés acadiens de la Chambre qui y ont vu un traquenard et la motion s'est enlisée dans la fange partisane.
D'abord opposés à la motion, le quotidien l'Acadie Nouvelle et la Société nationale des Acadiens (SNA) l'ont ensuite appuyée après avoir rencontré le député Bergeron, mais il était trop tard, selon Me Michel Doucet, ancien doyen de la faculté de droit de l'université de Moncton, pour sortir le dossier de l'arène partisane. «À moins d'être dans l'opposition, il est presque impossible pour les députés acadiens d'exprimer un point de vue qui contredit la position du parti ministériel.»
La motion Bergeron, appuyée par le député néo-démocrate Yvon Godin, le seul député acadien non libéral, et modifiée pour demander des excuses et non une réparation des torts, n'en fut pas moins battue, le 27 novembre 2001, par la majorité libérale.
Tout de même absurde de voir les députés de l'Acadie (Dominic LeBlanc, Jeannot Castonguay et Claudette Bradshaw du Nouveau-Brunswick, ainsi que Robert Thibault, de la Nouvelle-Écosse) voter contre la reconnaissance des torts causés par la déportation.
Clamant qu'il ne fallait pas déterrer la hache de guerre - l'argument du premier ministre Bernard Lord, qui compte plusieurs loyalistes au sein de sa députation - le député LeBlanc, fils de l'ancien gouverneur général du Canada, Roméo LeBlanc, dit même que l'Acadie avait pardonné à l'Angleterre, en invitant le haut commissaire britannique aux célébrations du bicentenaire de 1955.
Euclide reprend le flambeau
C'est un bon vieux militant qui a repris le flambeau. Professeur de philosophie et fondateur du défunt Parti Acadien, Euclide Chiasson s'est ensuite recyclé dans les coopératives d'alimentation et de pêcheries.
Pour meubler ses temps libres, notre Acadien de Pointe-Verte préside le conseil de la Société nationale des Acadiens (SNA), une fédération d'organismes des quatre provinces de l'Atlantique, qui vient de relancer l'affaire. Pourquoi tant tenir à cette reconnaissance des torts causés par la déportation de 1755?
«On ne peut réécrire l'histoire, mais il n'est pas sans importance de savoir et de dire que la Couronne a chassé les Acadiens des terres où ils vivaient depuis plus de 100 ans. Il faut le dire aux Canadiens, surtout aux loyalistes et aux néo-Canadiens, qui ignorent souvent ou nient carrément ces faits historiques.
«Il est important de savoir que le nom de Burnt Church - le point chaud de la guerre des Mic-Macs pour la pêche du homard - rappelle justement que les Anglais y ont brûlé l'église des Acadiens. Il est bon aussi de rappeler que les Acadiens, cultivateurs prospères avant la déportation, ont dû se convertir en pêcheurs à leur retour sur des terres infertiles.»
N'attendant plus rien du Parlement canadien - «tout y est teinté par la lutte entre les libéraux et les péquistes», précise M. Chiasson - la SNA a décidé de piloter elle-même le dossier.
«D'ici deux mois, nous ferons parvenir une requête à la gouverneure générale du Canada, Mme Adrienne Clarkson, et ensuite, si nécessaire, au Haut commissaire britannique au Canada. Notre requête contiendra un exposé historique inattaquable», dit le président de la SNA.
Bien que battue à la Chambre des communes, la résolution du député Bergeron a néanmoins placé la question devant l'opinion publique. «Ce fut sans contredit une affaire à propos de laquelle nous avons obtenu un volume inhabituel de réactions», souligne Bruno Godin, le rédacteur en chef de l'Acadie Nouvelle, qui suit cette question de très près.
Devant l'impasse parlementaire, la SNA avait institué un comité consultatif dont était sortie la recommandation suivante: «Que la SNA poursuive les démarches afin que les torts historiques survenus au moment du Grand Dérangement - euphémisme acadien pour décrire l'épuration ethnique de 1755 - soient officiellement reconnus par la Couronne britannique.»
Pas de gros sous
On s'est habitué depuis un certain temps à voir les demandes de reconnaissance d'injustice accompagnées de requêtes d'indemnisations financières. Ce fut le cas chez nous avec les enfant autochtones conscrits dans les pensionnats urbains et les orphelins de Duplessis parqués dans les asiles, et ailleurs avec notamment les Chagossiens qui furent déportés, de 1966 à 1973 de l'archipel des Chagos dans l'océan Indien, par les Britanniques qui voulaient libérer l'endroit pour une base militaire américaine.
Et ce pourrait aussi être le cas pour les Acadiens, s'il n'en tenait qu'à Me Christian Néron, un expert du droit international de Québec qui évoque les chiffres astronomiques de 50 à 100 milliards que pourraient réclamer les descendants de 1755.
Selon Me Néron, la déportation fut non seulement arbitraire et cruelle, mais encore illégale car la plupart des Acadiens déportés étaient des sujets britanniques naturels, c'est-à-dire nés tels, en vertu de la capitulation de Port-Royal en 1710. Il aurait fallu une loi du parlement britannique pour rendre une telle déportation légale.
La SNA ne compte cependant pas assujettir sa requête à une demande de réparation financière. «Nous aurions l'air de quémander, d'être des quêteux», dit M. Chiasson.
De toutes façons, il faudra se hâter si l'on veut arriver à temps pour les célébrations du 250e anniversaire en 2005 qu'on anticipera quelque peu au congrès mondial de 2004 où l'on célébrera le 400e anniversaire de l'arrivée des Français en Nouvelle-Écosse.
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